Une fresque aussi colossale qu'inégale autour de trois personnages principaux. La naïveté d'Ariane tranche le mystère de Solal, quand Adrien paraît étonnamment banal, presque touchant. Après une première partie poussive, le roman prend un tour magnifique dans sa noirceur. On découvre alors des coeurs abîmés par l'amour seul, condamnés d'avance, comme en sursis. Albert Cohen fait preuve d'une certaine finesse psychologique dans sa description des deux amants ; il est difficile de souverainement détester l'un, ou d'adorer tout à fait l'autre. Dès la cinquième partie, le ton devient soudainement tragique. L'amour révèle alors toutes ses failles, le ton est d'une lucidité glaçante. Ariane et Solal vivent alors d'un sentiment convalescent, retraités à Agay. Cet intermède lumineux est un âge d'or autant qu'un vide sans pareil, où l'amour finit par être disputé au social. Dans une Europe tiraillée par l'antisémitisme, Solal et Ariane survivent dans une solitude tragique où plus rien ne s'oppose, avec pour seul dénouement possible une bien triste apothéose. Unis, ils finissent par tout sacrifier, par peur de vivre au lieu d'exister.