Ils sont six. Six « enfants » qui abordent la délicate période de l’adolescence dans l’Arizona de la deuxième moitié du XXe siècle. Six antihéros sensibles, inadaptés, des laissés pour compte auxquels le lecteur s’attache justement pour ce qu’ils sont, et non pas pour ce que certains voudraient qu’ils soient. Grâce à de judicieux flash-backs, Glendon Swarthout nous fait découvrir le passé de chacun de ces garçons traumatisés, sans céder pour autant au pathos. Une galerie de portraits touchants se dessine alors : des frères qui se détestent à l’adolescent qui mouille encore son lit, en passant par le gamin grassouillet, c’est une ribambelle de bras cassés qu’on nous présente. Cotton, Goodnow, Lally I, Lally II, Teft et Shecker, réunis par leurs faiblesses, vont aussi s’unir pour réaliser quelque chose de plus grand, qui les dépasse et dont ils ignorent la réelle difficulté.
En effet, leurs parents les ont laissés au Boys Canyon Camp pour un été, dans le but de faire d’eux de véritables cow-boys puisque telle est la promesse de ce camp destiné aux adolescents de treize à seize ans. Voici une façon délicate de se débarrasser de leur(s) rejeton(s) pour quelques temps, sans avoir mauvaise conscience. Chaque adolescent se voit naturellement intégré à un groupe d’après les instructeurs du camp ; la sélection se voudrait « naturelle ». Suite à des épreuves sportives ou physiques régulières, les équipes de jeunes garçons sont ensuite classées et « récompensées ». De ces tests, nos protagonistes sortiront bons derniers et se verront dotés d’un trophée à leur image – un pot de chambre – et d’un surnom qui ne manque pas de leur faire honneur – « les pisseux ». Tout bascule après qu’ils aient assisté à une scène d’une rare violence. C’est ainsi que le récit initiatique se transforme en road-movie et en véritable aventure humaine. Sous la houlette de Cotton, les six camarades se chargent d’une mission dont le lecteur ne connaîtra la nature que tardivement. À l’instar de l’incipit, la fin de ce roman laisse le lecteur sans voix et le titre de l’œuvre prend alors tout son sens…
Avec ce récit juste et efficace, Glendon Swarthout égratigne l’Amérique et ses valeurs, et rend hommage à ce nouveau « club des losers ». Si dans la micro société que représente le camp, la sélection, la compétition et l’ambition sont reines, l’auteur de Homesman fait de ses six « pisseux » refusant l’ordre établi de véritables héros. Leur volonté d’accomplir quelque chose qui leur tient à cœur, malgré les barrières qu’on voudrait leur imposer, souligne par contraste le point de vue sans fard de l’auteur sur l’absence d’empathie, la cruauté et même la bestialité de la société américaine incarnée par la figure mythique du cowboy. Alors que cette société assume et organise une certaine forme de violence, tant physique que morale, Swarthout parvient à montrer l’hostilité et le mépris dont elle fait preuve, rejetant les « faibles » au profit des « forts ». Critique féroce d’une Amérique reniant une partie d’elle-même, Bénis soient les enfants et les bêtes tire réellement sa force de ses personnages : ces pisseux-là ne seront jamais des cowboys, et c’est tant mieux.