" Adieu seigneur, régnez : je ne vous verrai plus. "
Il y a quelque chose de très étonnant dans Bérénice, à la lecture. L'intérêt semble vraiment évoluer peu à peu, dans une gradation très maîtrisée qui accroche le lecteur de mieux en mieux. mais le premier acte semble long et idéiste, suivant les pensées intérieures et les tourments d'Antiochus, bien loins de l'exaltation des passions qu'on pouvait imaginer.
La simplicité de l'intrigue et le peu de personnage est d'une modernité extrême chez Racine, et la préface est un des plus beaux doigts d'honneur de l'art français. Mais on a du mal à accepter que la pièce vienne de Racine ; on se croirait au final dans un salon du XVIII° à suivre les mœurs de personnes proche du peuple. Bien sûr Racine ne s'abaisse pas à Diderot et la pièce n'a rien d'un drame bourgeois, mais elle est tant surprenante et moderne qu'il est impossible de l'affilier à un genre. On ne peut pas la comparer à Corneille, ni même aux autres tragédies de Racine. Ce qui surprend le plus, c'est sûrement le rapport entre le texte et la scène. Je n'ai pas pu m'empêcher de visualiser des chois dramaturgiques, des jeux d'acteurs, afin de donner vie à ces textes qui, sur le papier, semblent extrêmement figés. quelques didascalies viennent ponctuer la fin du texte, la plupart sont nécessaires (Titus lit la lettre), d'autres sont plus questionnables (Bérénice se laisse tomber, indication essentielle ?), au milieu des vers qui marquent par leur beauté et leur fluidité (" Tout ce que de mon cœur est l'unique désir / Tout ce que j'aimerai jusqu'au dernier soupir ").
La pièce est aussi surprenante que l'héroïne éponyme, impossible à classer, résolument moderne pour Racine qui lui-même va critiquer ces " mesdemoiselles mes règles ", et je pense que s'il y a une tragédie racinienne qu'il est nécessaire de monter, une seule, c'est Bérénice : autant parce l'amour qu'elle présente est sublime que parce que le texte est aussi riche que difficile.