Lu en Juin 2020. 8,5/10
Retrouvailles avec Racine, deux semaines après avoir découvert son Phèdre.
Je n'avais aucune idée de l'histoire dans cette pièce par contre je commence à comprendre que Racine aime le monde latin et les vieux mythes.
Bérénice c'est une pièce qui pourrait durer une scène d'un seul acte comme l'avaient fait remarquer les détracteurs de l'époque. En effet, Racine nous partage la séparation forcée (et historique à quelques détails près) de l'empereur Titus et de la Reine de Palestine, Bérénice. A ces deux personnages s'ajoute Antiochus, le Roi de Commagène qui aime Bérénice mais qui a la volonté de rentrer dans son royaume par « respect » de l’hyménée entre les deux amants.
Ainsi, la pièce très bien construite en 5 actes se passera en temps réel. En quelques heures, l'empereur devra annoncer l'annulation du mariage car Rome n'aime pas les Reines mais cela lui fend le cœur et cela fendra bien plus encore celui de sa bien-aimée.
Ce texte est réellement beau. C'est vrai qu'il ne se passe pas grand-chose, mais les personnages respirent la sincérité. Et si le ton élégiaque est omniprésent, il n'y a aucun pleurnichage romantique, simplement une douleur triste, froide et magnifique.
J'ai aussi apprécié l'aspect politique de l’œuvre. Sorte d'ode au monarque (adressée subrepticement à Louis XIV), Titus se doit de rompre son amour car la gloire est son seul amour. Son confident lui rappelle la période de trouble qu'a vécu Rome (Calligula, Néron...) et il ne veut pas prendre de nouveau ce risque. On ressent tout à fait son déchirement et c'est assez touchant.
La fin m'a aussi tout à fait surpris. Je pense que c'est la première tragédie que je lis où toutes les vies sont épargnées. C'est une bonne surprise, comme quoi Racine a su détourner ses propres codes malgré son classicisme. Classicisme prégnant dans la pièce où toutes les unités et toutes les règles de vraisemblance et autres de bienséance sont respectées.
Pièce toute aussi emprunte de la pensée janséniste toujours aussi rude mais qui n'a jamais été aussi belle à mon goût.
Cette tragédie n'a pas la puissance que m'a inspirée Phèdre, mais elle regorge de qualités qui me conforte dans mon appréciation de l’œuvre de son auteur.
« Plaignez ma grandeur importune/Maître de l'univers, je règle ma fortune » (Titus, III-1)
« Et vos refus cruels, loin d'épargner ma peine, Excitent ùa douleur, ma colère, ma haine » (Bérénice, III-3)
« Sur Titus, et sur moi, réglez votre conduite. Je l'aime, je le fuis, Titus m'aime, il me quitte » (Bérénice, V-Scène dernière)