Qualifié de "roman appartenant à l'époque pré-fasciste" par Adorno et Horkheimer dans La dialectique de la Raison, Berlin Alexanderplatz est plus que le simple récit d'un anti-héros : il s'agit aussi d'une peinture d'un Berlin écartelé entre la misère, la montée du nationalisme et les dissensions au sein de l'extrême gauche.


Cet ouvrage est souvent comparé à Voyage au bout de la nuit de Céline ; cette comparaison me paraît plus que pertinente. Ces deux livres ont été écrits durant l'entre deux guerres, sont écrits dans un style aussi argotique que poétique qui dépeint la crasse que les deux personnages principaux, tout deux paumés, côtoient.


Par ailleurs, le personnage central de Berlin Alexanderplatz Franz Biberkopf, met à rude épreuve notre moralité. Ce gaillard sort de prison : sa compagne est décédée suite à ses coups. Il cherche alors à devenir honnête et ceci à tout prix. Or, l'homme n'a rien d'un repenti ! Il boit à outrance, flirte avec les fachos, se montre vantard et trouble même la sœur de la femme qu'il a tué ! Pour moi, ce type était une ordure. Heureusement, je ne cesse pas de lire quand les personnages me déplaisent d'un point de vue moral (ou même des scènes, je repense au passage qui décrit des abattoirs qui est à vomir). Le narrateur, dont la plume est savoureuse, insiste sur la guigne qui attaque Biberkopf et que le malheur viendra de manière certaine à sa porte.


Puis, au fil des pages, nous avons une vision plus nuancée des choses. Dans ce Berlin misérable, il est ardu d'avoir une attitude honnête et digne de respect, en particulier si comme Biberkopf, on se leurre sur ce qu'est l'honnêteté. Biberkopf ne veut montrer que sa force. Sa capacité à "s'en sortir" mais il oublie de faire preuve de réflexion, ce qui va le perdre et l'amener vers de sombres travers. Il devient donc plus difficile de juger ce personnage, qui paraît comme une sorte de caméléon, au sens où son attitude se calque sur le décor dans lequel il vit. Il est possible d'observer ceci par son brusque enthousiasme envers le nationalisme suite à la rencontre d'un homme dans un bar, puis de sa proximité avec "les libertaires et les moscoutaires" par l'intermédiaire de l'irrévérencieux et voleur Willy. Il va finir par abandonner la politique en trouvant ceci vain. Que ce soit en côtoyant le fascisme ou l'anarchisme, Biberkopf se caractérise par son attitude de suiveur (peut-être un peu moins lorsqu'il côtoie les nationalistes mais on a l'impression qu'il ne se rend pas compte de la signification du brassard qu'il porte). Nous constatons que ce type sait certes jouer de sa force mais il se fait surtout berner. Néanmoins, cela ne justifie pas la violence qu'il a pour les femmes alors que paradoxalement, il peut bien se conduire par exemple lorsqu'il reprend cette fripouille de Reinhold sur son attitude envers les femmes. Par ailleurs, il est intéressant de voir que dans ce milieu, la prostitution apparaît pour les femmes comme un métier et un moyen de faire tenir le foyer. Elles semblent pour la plupart être des femmes fortes ; je pense notamment à Eva.


Ce livre nous montre la pauvreté d'un Berlin dévasté après la guerre, en proie à une ébullition politique. Ceci se traduit par le style de Döblin que je qualifierais "d'expressionniste" (il participe par ailleurs à la revue expressionniste "Der Sturm") : interviennent des fragments de chants patriotiques et révolutionnaires sans crier gare, des réclames, la crasse des abattoirs de Berlin nous saute aux yeux, des éléments oniriques impromptus surviennent, en particulier à la fin de l'ouvrage.


Je dois avouer que j'éprouvais une certaine lassitude tant les péripéties de Biberkopf me semblaient absurdes (renouer avec Reinhold alors que ce dernier a manqué de le tuer me paraissait étrange) puis cette absurdité atteint un sublime climax alors que Biberkopf sombre dans la folie et rencontre la mort. La mort lui indique pourquoi il n'est pas parvenu à tenir sa promesse d'être honnête. Elle lui montre de manière impitoyable la voie de la rédemption.


Alors, est-ce que Biberkopf est un pauvre type ou un sale type ? Cette question n'est peut-être pas la bonne...

Blackfly
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le 23 mars 2021

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