"Tout est une question de perspective dans ce qui est juste et dans ce qui ne l’est pas."

Je retrouve avec grand plaisir Dominique Manotti que j’avais quitté l’année dernière avec « Or noir », un roman qui mêlait habilement politique et économie, des thèmes chers à l’autrice tout en ayant pour toile de fond la cité phocéenne. J’ai aussi eu l’occasion de lire « Racket » la même année, son dernier roman noir paru aux Arènes dans la jeune collection Équinoxes (une collection qui fait des merveilles depuis sa création en mars 2018). Dominique Manotti n’a pas son pareil pour dépeindre les rouages des grandes institutions françaises et elle s’adonne à merveille à cela dans « Bien connu des services de police » publié pour la première fois en 2010 chez Gallimard et rééditée en poche chez Folio en juin 2018. J’ai d’ailleurs utilisé la couverture de cette édition en poche que je trouve pas mal du tout. « Bien connu des services de police » est l’occasion de retrouver la flic des renseignements généraux qui apparaît dans « Racket », Noria Ghozali. C’est toujours agréable de retrouver des personnages connus et familiers. C’était déjà le cas avec le commissaire Daquin que j’avais rencontré pour la première fois dans « Or noir » et qui faisait aussi une apparition dans « Racket ».


« Le commissariat de Panteuil, banlieue nord de Paris, future incarnation de la « nouvelle politique de sécurité » du ministre de l’Intérieur ? C’est en tout cas ce que souhaite sa commissaire en cette année 2005. Ce haut fonctionnaire policier ne manque pas d’ambitions […] Ses hommes sur le terrain s’y emploient à leur manière. »


L’histoire de ce roman s’articule autour d’un lieu : le commissariat de Panteuil. Panteuil, ville fictive de la banlieue nord qui n’est pas sans rappeler des villes existantes. Montreuil ? Pantin ? Peu importe, le décor est planté et l’autrice ne va pas ménager ses efforts pour tinter son récit d’un réalisme bien campé. À partir de là, une flopée de personnages avec des motivations bien précises et plus diverses les unes que les autres vont se croiser et se retrouver dans cette ville en banlieue, autour de la drogue, de leur métier, de leurs amitiés, de leurs magouilles. C’est là que le réalisme frappe sans pathos, les jeunes des cités prennent de plein fouet les contrôles au faciès des policiers. Les prostitués se retrouvent à travailler dans des conditions dangereuses et rencontrent des difficultés avec leurs macs (que ces deniers soient des flics ou non). De grandes bandes règnent en maître sur une majeure partie du territoire. Et au milieu de tout ça ? Des policiers dans un commissariat qui enchaînent les bavures, les manœuvres politiciennes et les comportements plus que limites entre collègues. Bienvenu dans un monde abrupt où l’on cherche les repères, que les acteurs soient du côté de la police ou non, la galère va vite pointer le bout de son nez. Alors on ne va pas se mentir, les forces de l’ordre ont un sacré pouvoir. J’ai refermé le livre avec le sentiment d’impunité en tête, qui débordait chez les policiers et les politiciens. Un sentiment qui perdure d’ailleurs une fois la dernière page tournée. Au-delà du terrain et des techniques plus que discutables des forces de l’ordre, c’est tout un ministère qui semble se mettre au diapason petit à petit d’une politique ultra sécuritaire et chaque échelon y contribue bien volontiers. La ville est alors construite autour d’un cadre raciste, qui prône des pratiques où la méfiance et l’insécurité se nourrissent mutuellement. La commissaire en chef en est une parfaite illustration dans ce roman. Cette dernière se retrouve à couvrir les bavures de son commissariat de Panteuil tout en cherchant dans les plus hautes sphères du pouvoir et du ministère à placer sa rhétorique qui respire le racisme et l’insécurité. Vous découvrirez là aussi un personnage qui malgré son statut, semble elle-même dépassée par moment par cette spirale de violence qu’elle légitime. Une spirale de violence sociale (les squats, etc.) légitimée par les politiques d’urbanisme, mais surtout une spirale de violence policière inhumaine qui va avoir de cesse de se répéter. Dominique Manotti connait son sujet et comme je le précisais précédemment, tous les rouages de la machine répressive apparaissent : du magistrat qui ne souhaite pas faire de vague lorsqu’il collabore avec la commissaire et qui tient un discours en carton-pâte face à la population lorsque c’est nécessaire, au petit bleu qui vient de débarquer dans le commissariat plein de bonnes intentions, mais qui finalement va vitre comprendre la réalité du terrain et surtout la mentalité qui va avec dans le commissariat (les bacmens et les « notes » de ces derniers en sont un bel exemple).


Les éclairs de lucidité qui traversent certains personnages nous amènent à penser qu’ils et elles ont bien compris les rouages, que ce soit Balou le dealer et footballeur déchu qui n’a plus rien à perdre ou Ivan le flic désabusé par le fonctionnement de son commissariat qui en devient ultra taciturne. Il y en a d’autres, des personnages très bien décrits et mis en scène par Dominique Manotti et qui valent le détour. Pour autant certain sont vraiment détestables et l’empathie qui pourrait naître devient quasi-inexistante.


Ce sentiment de lucidité qui amène à mettre en perspective les événements de ce roman noir est très bien incarné par exemple par la commissaire aux RG (renseignements généraux) Nora Ghozali citée au début. Alors que cette dernière fait son job en observant les petites manigances du commissariat de Panteuil, les choses s’enveniment et les événements se précipitent. Des squats brûlent et la population précaire de la ville est en danger. La flic connaît du monde et elle a tissé des réseaux avec le temps, mais pour autant, Nora a beau être lucide et ne pas se situer au milieu lorsque les choses éclatent, elle recevra comme tout le monde tout un tas d’éclats contre son gré. Ce sentiment d’avoir du recul et d’être lucide sur ce qu’il se passe ne l’empêchera pas de prendre de sacrés coups au sens propre comme au figuré. Et cela, Dominique Manotti le met très bien évidence. Personne n’est épargné, quel que soit le sentiment de justice qui se dégage. Les personnages sont dépassés et surtout la réalité est décrite avec une netteté qui fait froid dans le dos. Pas de happy end ni de twist mémorable, prenez plutôt une dose supplémentaire d’injustice et rien de plus. C’est comme ça, âpre, violent, et cela ne fait que remuer plus loin le couteau dans la plaie. La plaie ouverte par une institution qui respire le sexisme, la misogynie, la violence, le racisme et les magouilles financières. Elle est rugueuse la réalité de Dominique Manotti, mais pourtant elle doit être lue. On percevra un écho bien triste à la lecture de ce livre en constatant que la situation a peu ou pas du tout évolué en 2019. Les violences policières se perpétuent tout comme les comportements racistes et sexistes dans la société. Même si cela doit charrier un bon paquet de m**** à la lecture, prenez le temps de découvrir ce bouquin, Dominique Manotti est vraiment très douée pour construire les portraits de ces personnages et les contextes réalistes dans lesquels ils et elles évoluent.


Au passage, ce roman a obtenu le trophée 813 du meilleur roman noir francophone en 2010.

seb_ply
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le 3 mars 2019

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