Depuis maintenant cinq années sur SensCritique à écumer les vastes horizons de la Fantasy - voire de l'imaginaire, de manière plus générale - quoi de plus naturel, pour célébrer ma 500ème critique que de parler d'une des œuvres les plus emblématiques dans le genre de la Fantasy, annonciatrice d'une des plus grande explosion dans le monde de l'Imaginaire : j'ai nommé le roman Bilbo leHobbit, écrit par le très célèbre J.R.R. Tolkien et publié en 1937. Avant toute chose, je tiens à spécifier que je critiquerai ici la traduction réalisée par Francis Ledoux en 1969 ; celle de Daniel Lauzon en 2012 (avec laquelle j'ai beaucoup plus de mal) viendra en temps et en heure. Et là, on peut commencer à être perplexe : je désire différencier les deux traductions françaises tout en voulant critiquer (du moins, à mon niveau, établir un ressenti personnel quant à ma lecture) l'histoire racontée et écrite par J.R.R. Tolkien, anglais de nationalité : pourquoi ne pas critiquer l’œuvre originale ? Déjà, je suis très mauvais bilingue et secondement, vous vous posez réellement cette question, aussi légitime et intéressante soit-elle ? Il est vrai que la coexistence de deux traductions, couplé au fait que la plus récente semble supplanter la plus ancienne, donne matière à discuter. Mais en amoureux inconditionnel (et peut-être, sur ce point, hérétique) de la première traduction, celle utilisée dans les adaptations de Peter Jackson, je ne peux me résoudre à la laisser de côté, tout comme je ne prononcerai jamais Tolkien Tolkine. Que voulez-vous... On est buté jusqu'au bout ! Mais trêve de digressions et attaquons cette œuvre qui, à titre personnel - mais également dans les ressentis communs, m'a longtemps laissé perplexe (ayant lu Le Seigneur des Anneaux bien avant ce roman là). Qui a-t-il à dire de plus sur Bilbo le Hobbit, qui n'a été déjà dit. Et bien rien justement, mais rien de grave : je vais vous le redire !
Bilbo Baggins (je reprendrais l'exacte nomenclature linguistique utilisée par Francis Ledoux dans ce roman, quand bien même Bilbon Sacquet me sied plus ; et le débat faut-il traduire les noms de personnages me monte à la tête ces temps-ci), un hobbit paisible reçoit la visite du magicien Gandalf, à la recherche du dernier compagnon pour une quête périlleuse : celle de débarrasser le Montagne Solitaire, place forte naine, du terrible dragon Smaug ; quête initiée par l'héritier légitime de ce royaume : Thorïn Oakenshield.
Pas plus de spoil ; et en même temps...
Bilbo le Hobbit ! Une œuvre parmi les œuvres qui ont marqué la culture populaire et la littéraire, au point d'être étudiée dans les collèges français - c'est dire ! Par ailleurs, je ne me mouillerai pas à essayer de le placer dans un quelconque sous-genre puisque je suis toujours en réflexion concernant ce roman, mais si je devais m'écouter, je pense le placer dans de... la Low Fantasy... Du moins, c'est parce que la narration m'y oblige, mais j'en toucherai quelques mots plus tard. Revenons à la critique : écrit par le "Père de la Fantasy Moderne", ce roman offre les bases (peut-on se permettre le descriptif simplifiées) d'un univers riche et complexe, si ce n'est l'un des univers les plus riches et complexes : la Terre du Milieu. Simplifié dis-je car, en effet, cette œuvre est avant tout destinée aux jeunes lecteurs et à la toute base, divertir les propres enfants de l'auteur. Et là, on commence à entrer dans le vif du sujet et de la critique. Il va sans dire que cette œuvre est destinée, dans les grandes lignes, à un jeune public : l'histoire est simpliste dans le sens où, question scénario, nous n'avons rien de très perturbateur - en grand passionné de la mythologie scandinave, J.R.R. Tolkien a puisé pour son roman dans la légende de Siegfried et du dragon Fáfnir. Néanmoins, on demeure sur une histoire qui tient sans difficulté en haleine les petites têtes blondes à la recherche d'héroïsme et autres aventures. Mais derrière cette quête "déjà-vue" se cache des éléments discutables. Premièrement, inhérent à la traduction de Francis Ledoux (je ne pourrais me prononcer pour Daniel Lauzon), le temps verbal employé. Mine de rien, si nous avons un temps de récit au passé (quelle surprise !), nous avons de nombreuses occurrences de subjonctif imparfait (subjectivement le meilleur temps verbal, il va sans dire) et, de part mes études et pratiques de l'enseignement du français dans le secondaire, ce n'est guère simple pour de jeunes enfants. Alors bien sûr, la compréhension n'est guère entachée, mais elle est quelque peu complexifiée. Et couplé au temps verbal s'ajoute la construction des phrases : nous avons un récit qui, malgré un lectorat ciblé bien spécifique, ose (du moins dans la traduction française) des formulations pouvant être qualifiées de lourdes, ce qui rappeler en certains endroits l'architecture linguistique de la saga Le Seigneur des Anneaux. Et c'est véritablement le principal "problème" que l'on peut souligner dans ce roman : sa complexité, une certaine forme de lourdeur, cette richesse de description qui nous laisse parfois quelques pages sans la moindre action... et surtout, point qui disparaîtra dans Le Seigneur des Anneaux, les incises de l'auteur-narrateur (le doute peut-il être permis ?) qui nous parle directement, à nous lecteur ; car il semble que Bilbo ait raconté son histoire à l'auteur-narrateur qui nous la raconte à son tour ; et c'est généralement lui qui nous fera mention des événements que Bilbo ne vit pas ou ne connait pas, nous positionnant de ce fait à son point de vue et non à celui de Bilbo qui découvre un tout nouveau monde s'ouvrir à lui - aurait-il plus intéressant d'en faire de même avec le lecteur : lui faire découvrir le monde et les intrigues au même stade que Bilbo ? A voir... Et là, de manière personnelle, je n'ai pas eu l'impression de lire/vivre une aventure de Fantasy "basique" (ancrée dans un monde secondaire, sans passerelle avec notre monde réel), mais plutôt d'être témoin d'une histoire à la sauce "Arthur Spiderwick". En soi, pourquoi pas mais connaissant l’œuvre phare de J.R.R. Tolkien, cette impression m'est un peu restée au travers de la gorge. Autrement, si l'on devait uniquement se focaliser sur l'histoire contée, force est de constater que la narration est efficace : la quête racontée est plaisante, les rebondissements (notamment finaux) sont efficaces, plusieurs dialogues sortent du lot grâce à d'agréables jeux de mots... le pari est réussi, quant à proposer un divertissement palpitant à un jeune lectorat.
Pour les personnages, nous allons avoir un léger problème. En effet, en plus des personnages que la compagnie de Thorïn rencontre, de Bilbo et Gandalf, nous avons treize nains. Et là où dans un film, on peut se permettre d'en laisser un certain nombre de côté, sans grande évolution car, après tout, on les voit tous agir à l'écran, il est plus compliqué de réaliser cela avec un roman. De ce fait, dans Bilbo le Hobbit, hormis Thorïn, Balin et Bombur, nous ne savons rien des autres nains si ce n'est par mentions éparses et succinctes. Et autant les descriptions et évolutions apportées aux trois nains susnommés sont intéressantes, notamment celles de Thorïn (avec des oscillations entre respect et dégoût envers son comportement vis-à-vis de notre hobbit ; Balin avec son profond respect pour Bilbo - il est le seul à ne jamais s'emporter contre le hobbit ; Bombur pour être acteur de nombreuses fois dans la vie commune durant le voyage), autant il est dommage d'employer tant de personnages pour n'en rien retenir qu'une affiliation familiale ou d'une passion pour un instrument de musique. Ainsi, pourquoi mettre autant de personnages estampillés principaux s'il ne faut en retenir que trois noms ? Autrement, nous restons, sur ce point également, sur de bonnes voies. Et bien sûr, notre hobbit Bilbo reste le plus attachant dans toute cette histoire qu'il n'a pas voulu, qu'il subit tout en l'ayant désiré, faisant preuve d'ingéniosité et de sagesse, mais également de courage et d’altruisme dans ce monde bien vaste et pourtant inconnu. En bref, des personnages simples, attachants et proposant de beaux échanges (avec un registre de langue qui fait bien plaisir - quand bien même il se trouve être beaucoup trop propre ; année 30 oblige, que voulez-vous !).
Qu'on se le dise, Bilbo le Hobbit est une excellente entrée en matière si l'on désire pénétrer les frontières de la Fantasy. Bien évidemment, il demeure toujours des points qui peuvent laisser perplexes, entachant de ce fait notre lecture ou notre immersion mais il y a ce quelque chose qui se dégage de cette œuvre, ce changement opérant au sein de la Fantasy, à une époque où l'on désirait suivre les travaux de Robert E. Howard (le papa de Conan), ce soudain rafraichissement pour les légendes médiévales qui donnera les lettres d'or à une nouvelle génération littéraire sous le genre de l'imaginaire. Un livre à lire absolument et qui ne saurait laisser indifférent, pour peu que l'on est un faible, une attirance, une passion pour la Fantasy.
Et n'oubliez pas : la Fantasy nous appartient !