Quel plaisir! Stephen King renoue avec le polar! La trilogie Bill Hodges avait révélé cette facette de son prodigieux talent. Après la déception (en ce qui me concerne) de After, je suis ravie de le voir revenir au mieux de sa forme avec ce roman exempt de surnaturel…
Billy Summers est un tueur à gages qui ne tue que les méchants, ceux qui le méritent vraiment, autrement dit il est « un type bien qui fait un sale boulot« . Il rempile pour sa dernière mission : éliminer Joe Randolph Allen condamné à la peine de mort pour le meurtre d’un lycéen de 15 ans, mais dont la peine est sur le point d’être révisée. Le commanditeur du meurtre qui est prêt à payer deux millions de dollars reste anonyme et Billy Summers ne rencontre que ses hommes de main qui se chargent de l’organisation du crime. « Billy L’idiot » comme il se laisse volontiers appeler change alors d’identité pour devenir David Lockridge, en planque dans un appartement situé devant le palais de justice dans l’attente du tranfert d’Allen. Sa couverture est celle d’un écrivain qui va se mêler au voisinage d’une résidence tranquille. Occasion trop belle de se mettre à écrire ses mémoires sous le nom de Benjy Compson car avant d’être tueur à gages, Billy était tireur d’élite en Irak, et avant cela enfant placé dans un orphelinat à qui la vie avait déjà fait de beaux cadeaux empoisonnés. On l’aura deviné, bien loin d’être l’idiot que tout le monde prétend, Billy Summers en a sous la caboche. Pour preuve, il se crée une troisième identité, histoire de se ménager au besoin une issue de secours, et devient Dalton Smith, un expert en informatique qui vit en banlieue… Là aussi il s’intègre au voisinage et noue amitiés… dans l’attente de l’extradition de sa cible et du bon moment pour l’abattre. Mais « le dernier coup » est souvent celui qui tourne mal, la mission se transforme en un road-trip mouvementé au cours duquel Billy sauve la vie d’une jeune femme, Alice, avec qui il va faire, pour le meilleur et pour le pire, un bout de chemin.
En dédoublant sa narration par l’intermédiaire de son personnage Billy Summers et de ce que celui-ci écrit dans son autobiographie, King se permet de dérouler deux récits parallèles, multipliant les thémes abordés : la violence quotidienne des petites villes de banlieue, la guerre menée en Irak , l’immunité des grands de ce monde et une réflexion sur le processus d’écriture et au-delà sur la littérature elle-même. Du grant art. Comme à son habitude, il ponctue son récit de références à la culture américaine, quelle soit musicale, cinématographique ou littéraire, et va cette fois-ci au-delà avec dès la première page une évocation du Thérèse Raquin de Zola. King rend hommage à l’un des maîtres de la littérature française, révélant ainsi sa fascination pour le naturalisme. Est-ce aussi une façon de présenter le récit qui va suivre ? Je pense que oui et à juste titre: un roman de Stephen King est un coeur qui bat; à sa façon, King est un brillant disciple de Zola tant il parvient à décrire dans les moindres détails les ressentis de ses personnages et à susciter l’empathie du lecteur. Sans être empreint d’une trop grande violence même si les faits évoqués sont sordides, le récit évite les longueurs, ce qui n’est pas toujours le cas chez l’auteur. On se laisse porter par les évènements tout en s’attachant à ce Billy Summers, « tueur à gage au grand coeur ». Est-ce possible ? OUI.
Peut-être est-ce parce que j’ai vu plusieurs de ses films récemment, mais je me suis imaginé le personnage de Billy Summers sous les traits de Clint Eastwood (en milieu de carrière), et cela va au-delà, le récit lui-même, très visuel m’évoque l’univers violent et sombre de ce réalisateur. King et Eastwood ont de grands points communs, ils partagent la même vision humaniste de l’Amérique, souvent par la figure du héros de guerre capable de sacrifice pour la communauté. Quel doux rêve que de voir un polar de S.K adapté au cinéma par C.Eastwood…
Pour reprendre le premier paragraphe de cet article, roman exempt de surnaturel… ou presque car il est amusant ou … inquiétant de croiser l’ombre de l’hôtel Overlook au détour de ces pages…