« Toute personne qui tentera de trouver une intrigue à cette histoire sera fusillée. Toute personne qui tentera de trouver une morale à cette histoire sera condamnée à l’exil. »

Mark Twain

William Kotzwinkle ne fait décidément rien comme les autres. Quel que soit le registre abordé, ou le genre, il instille en douce une dose de dinguerie et de tendresse rendant son propos immédiatement sympathique. J’ai déjà confié tout le bien que je pensais de Midnight Examiner. Avec Book of Love, je m’attendais à un roman d’apprentissage à l’américaine. Eh bien, l’auteur m’a encore émerveillé en écrivant un livre en tout point conforme aux citations de Mark Twain figurant en exergue des deux chapitres de ce roman jubilatoire.

Book of Love nous raconte une tranche d’existence, celle de Jack Twiller, jeune américain des années 1950, élevé dans la culture des comics, du base-ball et du cinéma. Vivant dans un quartier populaire, on ne peut pas vraiment dire qu’il a la vie facile. Bien au contraire, issu d’une famille modeste, l’avenir du jeune garçon semble borné par un système éducatif et un milieu ne promouvant pas l’émancipation, sauf à briller dans une activité sportive.
Au lieu de dénoncer de façon frontale ce fait, William Kotzwinkle opte pour la chronique réaliste, à hauteur d’homme, nous faisant cheminer le long du parcours semé d’ellipses de Jack. Un itinéraire jalonné d’anecdotes fort drôles mais où l’on sent l’émotion affleurer. Car derrière les rêves de Jack, ses expériences intimes, ses espoirs et les rites de passage un tantinet frustres, étapes obligées de l’enfance vers l’adolescence, puis au-delà, se dessine le portrait d’une Amérique bien éloignée des promesses de l’American Way of Life.

Confronté à cette situation, d’aucuns auraient tiré un roman mettant en scène le mal de vivre d’une adolescence révoltée. William Kotzwinkle adopte le registre de l’humour. À bien des égards, Book of love, c’est La Fureur de vivre avec les pieds nickelés à la place de James Dean. Avec ses potes, Béquille, Faucheux, Floyd, Scuduto, Jack Twiller forme une bande inoubliable dont les virées virent irrémédiablement à la catastrophe. Des bras cassés, des rouleurs de mécaniques, obsédés par la chose, auxquels on finit pourtant par s’attacher.
Par leur truchement, l’auteur américain revisite les figures imposées par de nombreux films et séries télévisées sur la jeunesse et l’enfance, leur conférant une sincérité touchante. Il se livre aussi à un jeu de massacre, livrant une vision caustique de quelques « institutions » de la société américaine. À ce titre, le passage chez les scouts apparaît comme un monument de drôlerie et d’esprit vachard auquel on peut difficilement résister.

Bref, je ne saurais trop recommander la lecture de Book of Love, roman à la fois subversif, drôle et touchant. Allez, un petit extrait en guise de conclusion :

« Il m’est arrivé un drôle de truc, là.
Ouais, quoi ?
Une petite môme m’a proposé de me sucer pour un dollar.
Derrière ses verres fêlés, les yeux de Béquille s’agrandirent comme des soucoupes.
Pourquoi tu me l’a pas dit plus tôt ?
Pivotant sur les talons, il fonça vers la tente.
Béquille, elle n’a pas plus de neuf ans.
Béquille tourna la tête, le regardant par-dessus son épaule.
Mon cocker n’en a que cinq. »
leleul
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le 21 nov. 2014

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