Errances dans le blizzard
Il m'aura fallu du temps pour venir à bout de ce Brussolo. Beaucoup, beaucoup de temps, quand bien même je dévore usuellement les œuvres du Monsieur plutôt rapidement.
Serge Brussolo nous conte ici l'histoire d'une jeune romancière - Sarah - envoyée à Gotterdhäl, ville Arctique s'il en est, afin de s'inspirer de son ambiance, de son climat, de son architecture, ... pour son prochain ouvrage. Idéalement une histoire à l'eau de rose, un de ces livres pour teenage girls qui se vend par camions entiers, une sorte de Twilight des glaces, pourquoi pas (bien que Twilight n'existât pas à l'époque).
Brussolo oblige, cette ville a bien évidemment ses coutumes incompréhensibles, ses démons, ses mystères, ... que je ne dévoilerai pas ici cela va sans dire.
De même, Sarah a bien sûr ses propres problèmes intérieurs en sus, et la demoiselle n'est pas la personne la plus saine d'esprit que l'auteur ait décrit au cours de sa carrière. Après réflexion, elle doit même faire partie des plus mentalement atteintes, et ce n'est pas peu dire connaissant l'œuvre du personnage.
Le décor est donc planté, et le potentiel est assurément là.
Seulement voilà, la pseudo-folie de Sarah est prétexte a des pages, des dizaines de pages, voire même plus encore (50% du total ?) de descriptions. Descriptions macabres, lugubres, insanes au possible, dont on aura toujours du mal à dépêtrer ce qui est vrai de ce qui relève du fantasme pur et simple.
Qu'à cela ne tienne, ce procédé est typiquement Brussolo-ien et n'est en rien dépaysant. Mais là où le tout est d'habitude subtilement géré, parfaitement dosé, on se retrouve ici avec d'atroces longueurs. Le malsain frappe quand il est vif, abrupte, viscéral. Au bout de deux pages de descriptions dérangeantes et vomitives, le malsain devient juste lassant.
C'est d'autant plus dommage que l'histoire est comme toujours très travaillée, intéressante et originale au possible. Mais quand Sarah part se balader en ville après son arrivée, et que Brussolo pose 30 pages de descriptions du background, non seulement cela devient vite ultra-barbant, mais il sabote en plus lui-même ce qu'il tente de créer, le lecteur se désintéressant alors totalement de ce qu'il décrit, ne souhaitant plus qu'une chose : que l'histoire progresse enfin un minimum.
Mais là où le serpent se mord la queue, c'est que Boulevard des Banquises, sorti en 1989, souffre cruellement de la comparaison avec La Nuit du Bombardier, sorti... en 1989 également ! Rien d'étonnant donc à ce qu'on y retrouve de (très) grosses similitudes : héros perturbé au possible, passé traumatisant, ville étrange et terrifiante, personnages secondaires louches, limite imperceptible entre fantasme et réalité...
En achevant ce énième Brussolo, j'étais persuadé qu'il avait en quelque sorte servi de préquelle d'écrivain à la Nuit du Bombardier, qui gomme tous les défauts sus-cités pour en faire une œuvre majeure. Mais non, les deux histoires ont visiblement été écrites en parallèle.
En l'état, Boulevard des Banquises reste un Brussolo prenant, avec son lot d'idées complètement dingues, mais est donc souvent saboté par une volonté tenace d'enrichir le background à outrance, de manière non maîtrisée. N'est pas Tolkien qui veut...
A noter toutefois que ce défaut s'améliore bien dans la seconde partie du livre, avec un dosage plus subtil (mais toujours pas parfait), ce qui a fait reprendre un peu de galon à la note.
Un Brussolo sympathique donc, sur lequel vous glisserez tel un traîneau sur la banquise, tressautant sur les nombreuses ornières du chemin et priant pour ne pas tomber à l'eau en cours de route, mais qui au final vous marquera aussi peu que le traineau aura marqué la glace à votre passage. Le Maître a déjà clairement fait bien mieux.