S'il est des plus sympathiques lorsqu'il consiste à articuler deux mots d'argot parisien avec un imparfait du subjonctif, le côté "anar de droite" de Nestor Burma (et, au passage, de Léo Malet) est certes plus désagréable quand il campe le personnage de Bélita, gitane facile qui cumule les clichés. On tâchera de l'oublier en se plongeant dans "l'atmosphère" qui séduit tout de suite, et en succombant aux charmes de la description topographique : la pluie et le brouillard, qui noient le XIIIe arrondissement, entre Gobelins et la "zone" d'Ivry, le boulevard Arago et la Seine. Avec, pour épicentre, le passage des Hautes Formes, successivement domicile de la victime, théâtre des amours de Burma et de Bélita, et scène d'un assassinat fortuit, qui aiguillera l'enquête vers la bonne voie. Mais on ne saurait réduire cet épisode des "Nouveaux mystères de Paris" à un roman d'atmosphère. Ce suintement cafardeux est dû tout autant aux rigueurs du mois de novembre qu'à la remontée des souvenirs, chez un Nestor Burma contraint de revenir, pour les besoins de l'enquête, sur un terrain familier, longtemps arpenté dans son adolescence anarchiste, lorsqu'il fréquentait le foyer végétalien de la place d'Italie. Ayant désormais installé son agence rue des Petits Champs, chaque passage de la Seine ressemble à une remontée dans le passé - et les deux rives du fleuve ressemblent aux deux rives du temps.
Ce XIIIe arrondissement étant à nouveau méconnaissable - cette fameuse rue des Hautes-Formes étant devenue, entretemps, une référence des projets de réhabilitation urbaine de la fin des années 70, et notamment du "retour à l'îlot" -, voilà qui ajoute une strate supplémentaire à cette histoire plutôt désenchantée de résurgences du passé. Burma va devoir renouer avec de vieilles connaissances de la nébuleuse anar des années 20, et réaliser, avec un peu de gêne, que bien peu sont restés fidèles à leurs idéaux de jeunesse : les uns sont devenus des capitalistes cupides ne reculant pas devant la gâchette, et lui-même a bien du mal à trouver, dans son statut de "privé" indépendant, un dernier refuge pour son idéal individualiste. Les trois victimes sont celles qui n'ont pas su solder leur passé, ni lui barrer la route aussi sûrement que Burma qui, jusqu'à ce nouveau mystère, n'y songeait plus : l'un était demeuré fidèle à ses principes, au risque de la clochardisation, un autre, inspecteur de police, restait hanté par une affaire non résolue, le dernier était revenu se venger. Fantômes funestes et dérisoires qui clignotent dans le brouillard...