Monstre sacré du polar hard boiled, James Ellroy semble s’être quelque peu assagi au cours de ces dernières années, comme si l’enfant terrible des lettres américaines avait enfin mis au pas ses démons intérieurs. Ses derniers romans se veulent ainsi plus posés, plus ambitieux sur le fond comme sur la forme, mieux documentés et bien plus politiques. James Ellroy a ainsi gagné en maturité ce qu’il a perdu en fureur et en rage d’écrire. Les esprits chagrins trouveront de toute façon toujours quelque chose à redire, même s’il est vrai que l’énergie vitale assez folle qui animait ses premiers romans semble avoir bel et bien disparu. Qu’importe, les plus nostalgiques peuvent toujours relire le quatuor Los Angeles et savourer ainsi le chemin parcouru par l'auteur. Et tant qu’à faire, autant commencer par son premier roman, Brown’s Requiem.
Fritz Brown, ancien flic du LAPD mis sur la touche pour alcoolisme caractérisé et allergie à la hiérarchie, exerce désormais la profession de détective privé. Le bonhomme s’est même spécialisé dans la récupération de bagnoles dont les traites n’ont pas été honorées. Un boulot plutôt peinard, peu risqué et pas trop mal payé…. suffisamment pour ne pas avoir envie d’aller chasser du côté des divorces et autres filatures de conjoints infidèles. Brown se laisse pourtant convaincre par un caddy de golf miteux, mais plein aux as, d’accepter une affaire plutôt facile et bien juteuse. A priori le cas n’est guère épineux, puisque l’homme le charge de filer sa soeur, une jeune femme plutôt attitrante qui entretient une relation avec un homme qui pourrait être son père. L’enquête promet d’être bouclée en un tour de main et de rapporter gros, mais en réalité Brown remue des éléments du passé qui le conduisent dans les bas fonds de la criminalité organisée, des flics véreux et de l’argent sale. Une véritable descente aux enfers, semée de cadavres et de coups tordus, bien loin des paillettes d’Hollywood.
A la lecture de Brown’s requiem, on ne peut qu’être frappé à la fois par le talent brut de James Ellory, qui signe un premier roman très maîtrisé et plein de promesses futures, mais également tout le chemin parcouru par l’auteur américain en plus de trente ans de carrière. Tous les ingrédients sont pourtant déjà présent, le style brutal et incisif, mais encore un peu stéréotypé (comme si Ellroy n’avait pas tout à fait réussi à s’affranchir de l’influence de ses pères), la maîtrise formelle de l’intrigue et surtout le caractère très organique de sa littérature. Le Los Angeles de James Ellroy a quelque chose de profondément prégnant, l’âme de cette cité tentaculaire imprègne chaque phrase, chaque image, elle est le personnage principal du roman et d’une grande partie de l’oeuvre de l’écrivain américain. Mais cela, chaque lecteur d’Ellroy le sait parfaitement. Que reste-t-il alors à ce Brown’s requiem ? Malgré une intrigue bien ficelée, mais plutôt classique, le roman tient avant tout au personnage très ambigu de Fritz Brown, une brute au coeur tendre, grand mélomane, hanté par son passé de flic alcoolique, tiraillé entre son désir de justice et sa volonté d’échapper à la noirceur cancéreuse d’une ville monstrueuse et déliquescente. Un bon polar, à défaut d’être un grand Ellroy.