S’inspirant du retentissant rapport Meadows qui, grâce à la dynamique des systèmes, démontrait dès 1972 qu’à défaut de mesures visant à inverser la tendance, les projections de croissance économique et démographique mènent tout droit le monde à un effondrement, Quentin Abel noue une intrigue aussi vaste que dérangeante autour de la passivité qui, cinquante ans après et malgré la réalisation à date de toutes les prédictions chiffrées de cette modélisation, continue à nous caractériser.
Rebaptisée dans le roman « rapport 21 », cette publication tout à fait réelle est l’occasion pour l’écrivain d’imaginer le parcours de quatre jeunes scientifiques, recrutés par un éminent professeur de Berkeley – « la Harvard de l’Ouest » dont « le corps enseignant comptait onze Nobel » – pour modéliser, grâce aux tout premiers superordinateurs, notre système de croissance en fonction de ses différents ingrédients et facteurs. Les premiers secoués par leurs terribles conclusions, soudainement lâchés par leur mentor couru se mettre à l’abri, ils vont chacun opter pour une stratégie différente, incarnant au final l’ensemble des attitudes aujourd’hui adoptées dans la société face à la catastrophe annoncée.
L’optimiste couple d’Américains Mildred et Eugene Dundee, convaincu qu’une fois informées, « les sociétés n’allaient pas sombrer sans réagir », entame à travers le monde une longue croisade médiatique à tout crin. Ces Cassandre en sortiront désabusés et brisés pour se retirer au vert, à la tête d’un petit élevage biologique.
Le polytechnicien français Paul Quérillot, assez vite convaincu qu’incapables de « nous révolter contre nous-mêmes », nous continuerions comme si de rien n’était, renverser le « système technicien » revenant à « vouloir inverser un courant maritime, ou la rotation de la Terre », se lance, perdu pour perdu, dans une course égoïste à l’argent – après tout, « Qu’est-ce qu’elles ont fait pour nous les générations futures ? »
Enfin, Johannes Gudsonn, le presque autiste génie des mathématiques, disparaît tout simplement des radars et, réfugié dans la cabane à l’origine du titre, hésite entre plusieurs voies alternatives, comme celles des mathématiciens Grothendieck et Kaczynski, devenus, l’un militant anti-techniciste à la tête du groupe Survivre et Vivre, l’autre activiste anarcho-écologiste surnommé Unabomber en raison de ses activités terroristes.
Ainsi, des quatre lanceurs d’alerte à l’origine tout feu, tout flamme, ne reste au final que le petit tas de cendres de leur impuissance et de leurs désillusions, et au bout d’un demi-siècle, le navrant constat d’un échec : parmi les différents scénarios envisagés par le modèle de 1972, le monde n’a pas dévié d’un pouce de sa trajectoire initiale vers l’effondrement. Sans colère, tout au plus ironique mais surtout profondément mélancolique, le texte qui, mêlant personnages réels et fictifs, établit une rétrospective documentée et solide tout en entretenant le suspense autour de la disparition du chercheur suédois, ne laisse globalement guère de place à l’optimisme. Face à ce « système technicien » qui, « dirigé par personne », « obéit à sa logique propre, morne et implacable », « aliénant les êtres humains sans cesse davantage, interdisant que l’on questionne son utilité, et a fortiori sa participation au bonheur humain », « chaque invention de merde appelant une autre invention de merde, sans que personne ne songe à enrayer cette routine », ne subsiste au fond qu’un incommensurable sentiment de solitude, ne menant ici qu’au retrait du monde, au suicide ou à la folie.
Un roman tout à fait passionnant, qui fait le tour de nos inactions face à l’urgence climatique avec un sens du détail n’entravant jamais la fluidité du texte, pour tenter de nous arracher, au moins le temps de sa lecture, ces oeillères qui nous font garder la vue courte, myopes comme des taupes face à un avenir moins concret que le présent immédiat. Coup de coeur.
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