Dans les interviews qu'il donne, Régis Jauffret explique que la méchanceté, c'est bien et salutaire. Quand on est méchant, on est tenace, on a un but, on est vivant (il le redit d'ailleurs plusieurs fois dans Cannibales). Régis a donc décidé de se spécialiser dans la méchanceté et de nous dévoiler dans plusieurs de ses romans (j'ai ai lu deux autres), les obsessions et pensées noires de personnages vraiment très méchants.
Dans Cannibales, on lit la relation épistolaire entre deux méchantes: la mère correspond avec l'ex de son fils Geoffrey. Elles sont tellement méchantes que quand elles ne s'insultent pas entre elles, elles projettent de tuer Geoffrey pour le manger (d'où le titre...).
L'histoire est tirée par les cheveux, la relation entre les deux femmes n'est pas crédible, leurs échanges sont décousus. Il est impossible de reconstituer de façon certaine l'histoire de ce trio. Puisque tous le monde est fou et méchant dans l'histoire, on exagère, on ment, on divague, on déverse sa bile. La frontière entre ce qu'on souhaite de mal et la réalité est dure à établir avec précision (à la fin par exemple, on ne peut établir qui est mort ou pas). Les personnage ont pris le parti d'être méchants, acides, pétillants et grandiloquents plutôt que nuancés, logiques et cohérents. Il ne s'agit pas d'analyser la folie et la méchanceté. Il s'agit de les prendre en pleine face, sans recul, sans analyse, sans faire le tri entre les fantasmes et la réalité.
Quand on a accepté que tous les personnages sont fous (c-a-d quand on a accepté qu'il n'y a pas grand chose à comprendre à cette histoire), on peut se laisser porter par le texte. Et là reconnaissons que Jauffret a un talent certain. La langue est riche, jubilatoire, moqueuse, rythmée. Certains paragraphes pris isolément font de belles citations sur le couple, la haine, la religion, les enfants... mais tout mis bout à bout, cela donne un texte incohérent et étouffant de méchanceté.