Je ne l'ai pas connu, lui cet acteur mythique, ce comédien passionné qui déclenchait l'enthousiasme par sa seule présence et son jeu uniques, et sa voix mon dieu, oh sa voix !
J'étais encore très jeune quand ma mère me fit écouter celui qu'elle adorait, disparu en 1959 et qui avait pour nom Gérard Philipe.
Je découvris alors , sur un vinyle 33 tours, ce poème d'Eluard, l'Amoureuse, que je ne devais plus jamais oublier, dit par cet artiste mythique qui faisait vibrer les mots comme personne, détachant les syllabes avec une suprême élégance, simple et lyrique à la fois.
Un timbre juvénile que n'altérait en rien une voix légèrement nasillarde et l'amour du texte chevillé au corps : il me fascina et je tombai en amour de cette Amoureuse grâce à lui.
Imagination et réalité, pouvoir du rêve et du souvenir qui saisit le poète à l'évocation de la femme aimée et perdue: Gala en plein jour, avec laquelle les rêves les plus fous devenaient réalité, mais Gala nocturne qui rime désormais avec obscurité et solitude, celle de l'homme abandonné.
Un rythme incantatoire qui inscrit le poème dans la mémoire et souligne sa dimension musicale.
Le portrait reste flou mais le martèlement accusateur envers celle qui a rompu le charme, s'imprime à jamais dans l'esprit, magnifiquement prégnant.
Gala n'est plus à ses côtés, la séparation a fait son oeuvre, et seuls subsistent dans l'imaginaire du poète les souvenirs désormais tristes de ces images autrefois si heureuses car son Amoureuse a disparu à jamais.
Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.