Altered Carbon est un livre polar noir/cyber punk par Richard Morgan. Environ quatre siècles dans le futur, les humains sauvegardent leurs consciences sur des “stacks”, des piles cérébrales à la base du crâne, ce qui leur permet une vie théoriquement infinie, la possibilité de changer de corps… et toutes les complications qui vont avec. Takeshi Kovacs est un ancien membre des forces spéciales du Protectorat terrien, les Envoys, emprisonné depuis des décennies, libéré par un magnat qui lui demande d’enquêter sur sa propre mort.
Richard Morgan nous propose une histoire passionnante et bien écrite, narrée à la première personne, avec un protagoniste typique de films noirs —le détective privé désabusé— le tout dans un univers cyberpunk très intéressant, complexe et crédible. L’intrigue tourne autour d’une variation originale et SF du classique mystère de la chambre close, avec un rythme effréné et des personnages subtils et attachants. Les “runs”, ces actions clandestines commises contre de grands magnats, sont très bien montés et palpitants.
Mais si l’histoire est prenante, les personnages réussis et l’univers crédible, c’est ce dernier que je trouve légèrement décevant dans son traitement. Quand on bâtit un monde avec un concept aussi radical que celui-ci, il faut en explorer toutes les facettes, et je trouve que Morgan ne va pas assez loin dans son questionnement, métaphysique, social et parfois scientifique. Quelques exemples, entre autres :
L’intrigue autour de la résolution 653 est finalement assez rapidement évacuée et les catholiques présentés uniquement comme des fanatiques sans aucun argument valable.
La question de la compatibilité entre une stack et une sleeve —un corps— est elle aussi assez mineure, le cerveau n’étant finalement qu’une sorte d’interface neutre pour la stack. Quid des mémoires à l’intérieur du cerveau, ou de ses compétences, etc ?
L’impact sur les liens amoureux, familiaux ou sociaux dans une société qui change de corps comme de chemise est lui aussi trop peu développé à mon goût.
Quel est l’intérêt de faire de la “prison” si subjectivement il ne se passe rien ? On s’endort et on se réveille “juste” dans un autre corps quelques décennies plus tard.
Si tout le monde peut passer du temps dans un univers virtuel indiscernable de la réalité à raison de plusieurs heures pour une minute de temps réel, pourquoi n'est-ce pas une facette très importante de la société ?
J’ai personnellement écouté l’audiolivre en anglais, lu par Todd McLaren. Sa performance est très bonne, on reconnait la voix de quasiment tous les personnages sans que ça fasse trop forcé. Seul reproche au niveau du montage : certains blancs pas très naturels, d’une seconde environ, ont été laissés par moments, probablement au niveau des raccords entre plusieurs enregistrements. J’avais également visionné au préalable la série Netflix.
Bref, Altered Carbon est un excellent polar noir, bien écrit, le tout dans un univers SF/cyberpunk original et radical, mais qui aurait pu être légèrement plus étoffé. À lire si vous aimez le cyberpunk ou les policiers et que vous voulez découvrir ce sous-genre de la SF. Je m'attaque dès à présent à la suite.