« Plat comme Mérimée », disait Victor Hugo dans son recueil de poèmes Toute la lyre. Très sévère avec son comparse, l’auteur des Misérables ne pouvait visiblement pas apprécier qu’un style narratif soit aux antipodes du sien.
En effet, Mérimée, connu pour son style brut, rapide et avare en descriptions, est quelqu’un qui va droit au but. Si Mérimée avait écrit Les Misérables, Jean Valjan aurait été résumé à un ancien taulard qui veut cirer Thénardier et Javert pour récupérer Causette et laver l’honneur de Fantine. Si Les Misérables est mon bouquin préféré, c’est justement parce qu’il fourmille de descriptions psychiques et humaines, et surtout parce qu’elles sont narrées avec un tel génie littéraire que je m’en retrouve le souffle coupé.
Toutefois, le style épuré des nouvelles me plaît beaucoup aussi, et Mérimée a beaucoup d’aisance à installer un rythme effréné soutenant un fil conducteur limpide et précis. Certes, Carmen est infiniment moins marquant que Les Misérables, mais c’est tout de même une œuvre fort agréable à lire.
Son goût pour le mystère est bel et bien présent, la dame Carmen se positionnant comme une hybride mi-humaine mi-sorcière. Comme pour la Vénus d’Ille, son aura métaphysique est purement implicite, on sait qu’elle impose une sorte de destinée tragique au vertueux brigadier Don José qui a commis l’erreur de se passionner pour elle bien que ce ne soit jamais clairement mentionné.
L’absence de descriptions est compensée par une foultitude de détails qui renforcent l’immersion du lecteur au sein de l’Espagne du XIXe siècle. Ainsi, on prend plaisir à suivre l’histoire du narrateur et de Don José, tous deux éperdus de Carmen. C’est certes un peu stéréotypé (les gitanes lancent des charmes qui rendent fou les hommes) mais le symbole de l’amour si puissant qu’il en devient excessif et mortifère n’est pas pour me déplaire.
Le dernier chapitre transforme le récit en un rapport ethnologique diégétique sur les Bohémiens, faisant le lien entre l’histoire en tant que telle et l’aura occulte qui gravite autour des Bohémiens.
Concis, agréable à lire, tragique, romantique et métaphysique, du Mérimée dans le texte.