La production écrite de Sartre durant la drôle de guerre est impressionnante : un roman, treize carnets de son journal personnel, une lettre quotidienne au Castor, et à d'autres correspondant.es. Il nous reste les lettres, ainsi que les six carnets qui sont dans cette édition de 1995.


S'il y a quelques jolis morceaux, ce journal public (qu'il a toujours eu plus ou moins l'intention de publier) est surtout intéressant pour suivre la transition du "premier Sartre" au "deuxième Sartre". C'est le Sartre de 1939 qui écrit, même en 1940 : un penseur brillant, mais petit-bourgeois, phénoménologue, replié dans le monde de sa propre pensée. La guerre, vécue comme officier météo d'arrière-ligne (puis comme prisonnier, durant la guerre elle-même) est l'occasion d'une rencontre de Sartre avec lui-même et avec le monde. Contraint à vivre parmi les autres, il délaisse de plus en plus la constitution du sujet pour s'intéresser à la marche de l'Histoire par authenticité vis-à-vis de lui-même. Finalement, c'est peut-être encore un peu le Sartre de 1939 qui écrit L'Être et le néant (écrit en 1943). De nombreux écrits préparatoires se trouvent dans les carnets. L'Être et le néant viendrait alors clôturer quelque chose qui s'est déjà achevé pendant la période des Carnets.


Pour les lecteur.ices qui ne sont pas passionnées par Sartre, ce recueil aura peu d'intérêt. Mais pour celleux qui veulent suivre l'évolution de la pensée, les multiples transitions et transformations d'une pensée se faisant, cette lecture est d'une grande valeur. Sartre est parfois imbuvable mais il semble en avoir bien conscience ; son arrogance, son orgueil sont désarmés par une grande lucidité sur lui-même et une volonté de toujours se remettre en question jusqu'à en devenir malade, ce qui ne peut que vous le rendre sympathique.

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le 2 nov. 2020

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