Narcisse Pelletier a 18 ans. Il est vendéen et matelot sur la goélette Saint-Paul. Nous sommes en novembre 1843 et dans l’Océan Indien. A bord, de nombreux hommes sont très malades et l’eau douce manque. Le capitaine choisit de contourner l’Australie pour y chercher une aiguade. Après avoir trouvé un ancrage, quelques hommes descendent à terre. La zone est aride, la végétation sèche, le sol poussiéreux. Mais d’eau : point ! Narcisse, après de vaines recherches, retourne sur la plage pour rejoindre la chaloupe. Il découvre que celle-ci n’est plus là. La goélette non plus. Il a été abandonné à terre. Colère, rage, questions, incompréhension, désespoir. Puis patience, résignation : il est certain qu’il ne s’agit que d’un contretemps et que le bateau va revenir. Il est bien près de mourir de soif et de faim quand une vieille aborigène sortie de nulle-part lui porte secours.
C’est très inquiet qu’il finit par la suivre, rejoignant la tribu et l’intérieur des terres : s’éloigner du littoral, c’est risquer de manquer les secours qui ne peuvent venir que de la mer. Mais a-t-il réellement le choix ? Rester, c’est périr à très brève échéance si aucun bateau n’apparaît. Narcisse découvre alors un monde inconnu et se trouve au milieu de sauvages nus et au langage incompréhensible.
A chacun de ces chapitres narratifs et écrits à la troisième personne décrivant les affres dans lesquelles se débat Narcisse, suit la correspondance du vicomte Octave de Vallombrun, voyageur fortuné. Cet homme est membre de la Société de Géographie de Paris et rêve de la reconnaissance de ses pairs. Par hasard et sans que celui-ci ait le moins du monde œuvré dans ce sens, il se retrouve responsable du retour à la civilisation d’un sauvage blanc découvert sur une plage australienne et allant nu au milieu d’une tribu autochtone. Ainsi a refait surface Narcisse Pelletier dix-huit ans plus tard. Cette seconde partie du livre est épistolaire. Le Vicomte rend compte au président de la Société de Géographie des progrès du jeune homme qu’il a pris sous son aile – par bonté d’âme, même s’il s’en défend ; et pour la science. Car François Garde retrace parfaitement cette époque où des hommes aisés parcourent le monde afin de le décortiquer, de le décrire et de le comprendre. Les hommes, membres de sociétés diverses menaient des expériences de tout ordre. L’acclimatation d’espèces exotiques a mobilisé beaucoup d’énergie au cours de la seconde moitié du 19e siècle (c’est dans cette optique qu’un jardin d’acclimatation a été inauguré à Paris en 1860 par l’empereur ; à cette époque aussi que naissent nombre de grandes théories, dont celle de Darwin, publiée en 1859 dans son livre « De l'origine des espèces »). Cette influence des sociétés géographiques (Londres et Paris en tête) est parfaitement retranscrite par l’auteur, ainsi que l’engouement du public pour les découvertes du moment : la foule campe au pied de l’hôtel du « sauvage blanc », en Angleterre comme en France ; le scientifique et son protégé sont reçus par l’impératrice Eugénie, preuve de l’aura dont ceux-ci étaient alors auréolés.
Les travaux d’Octave de Vallombrun sur la « renaissance » de Narcisse ont donc de quoi passionner. Mais le lecteur s’aperçoit rapidement que le vicomte ne se contente pas de décrire platement ce choc culturel. François Garde ne se contente pas, en effet, d’un récit à la Jules Verne ou à la Daniel Defoe. Par le truchement de son gentilhomme, il s’interroge sur la soit disant supériorité blanche. Il commence par reconnaître un savoir ancestral aux aborigènes : malgré sa répugnance, Narcisse fait le choix de suivre ceux-ci, car sans eux, il ne pourrait survivre. Eux seuls connaissent la région, comment trouver de l’eau et de la nourriture, se protéger du soleil, éviter les embûches, les dangers. Et que signifie l’adjectif « civilisé » ? Lors des échanges entre Narcisse et Octave, qui apprend de l’autre ?
Par ses deux récits menés en parallèle, l’auteur dépasse de beaucoup la simple évocation d’un autre Robinson. Il pose de nombreuses questions relatives au langage, au mode de vie, à la culture, à l’identité : qui est « l’autre » ? Un livre superbement écrit, au ton souvent ironique qui m’a accaparé et vivement intéressé.
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le 21 sept. 2012

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