C'est l'histoire d'une famille atrophiée, monoparentale depuis la maladie et la mort de la « moman », et plus avant l'histoire d'une paternité à l'épreuve. A l'épreuve de l'absence de la mère, qu'il convient de combler du mieux possible. A l'épreuve du cheminement politique de l'aîné, surnommé le « Fus », un brave garçon dévoué qui néanmoins fricote de plus en plus avec le milieu de l'extrême-droite lorrain. Epreuve redoutable au regard des convictions et du militantisme de gauche du père. Epreuve que ce dernier décide de ne pas combattre frontalement. Le désaveu se pare plutôt de silences alors même que le lien se distend inexorablement. Pourtant le Fus n'en rajoute pas. Il n'évoque quasi jamais en famille ses convictions et ses activités politiques et fait toujours montre de la même présence pour un petit frère scolaire qui peut prétendre s'en sortir et viser une école parisienne, loin des difficultés économiques rurales ainsi que des vicissitudes politiques. Mais de ces vicissitudes précisément naît l'épreuve décisive précipitant la famille vers une nuit sans aube. Le Fus est laissé pour mort par un groupe d'anti-fa alors qu'il collait les affiches pour le compte de Marine. Après une dure convalescence, l'engrenage de la violence alimentée par le sentiment d'injustice aboutit à la vengeance irréparable. Fus tue violemment l'un de ses agresseurs. C'est le coup de grâce pour un père déjà déçu et qui à présent se voit dans l'impossibilité de pardonner et donc de soutenir un fils assassin. Il faudra attendre le procès en appel pour que le père sorte de sa torpeur et reconsidère le fils avant l'assassin, de même que l'homicide vengeur et « passionnel » avant le meurtre froid et monstrueux. Un dialogue difficile peut alors reprendre au parloir, quelques phrases innocentes sur fond persistant d'incompréhension. Un dialogue que, bientôt, Fus ne souhaitera plus alourdir de ses torts...

Réponse fictive à la lettre finale de Fus.

Mon Fus,

Je relis tes mots que j'ai déjà lus, encore et encore, à ce point que je les connais par cœur. Mais j'ai besoin de les lire parce qu'ils sont de toi, parce qu'ils sont toi et que c'est toi qui me les dis, bien plus que quand je les radote frénétiquement seul dans ma tête.

Avant que l'agent pénitentiaire ne me remette ta missive, j'avais déjà reçu le coup de fil glaçant de l'autorité carcérale et ses formules lapidaires : « Bonjour Monsieur, vous êtes bien le père de … Je suis dans le regret de vous annoncer le décès... Ses effets personnels dont une lettre vous attendent... ».

Absent de tout sauf du chagrin, j'ai pris du temps pour te répondre, pour m'écrire. Te dire que si toi tu ne regrettes rien j'ai de mon côté ce mauvais goût de gâchis dans la bouche qui ne me quitte pas. Tout horizon pour toi n'était pas perdu, tu avais fait le plus dur et dans trois ans tu aurais encore été jeune. Nous aurions été là pour toi, ton frère, Julien, le Jacky, peut-être même Krystyna qui sait ? Ta décision de partir, c'est comme si tu n'avais plus supporter l'idée d'être une charge dans nos vies, mais il n'en était rien. Certes, je ne t'avais pas encore bien pardonné, mais parce que je ne demandais qu'à comprendre. La seule pensée qui puisse me consoler quand je dérive, quand je me sens toucher le fond et qu'il devient si difficile de m'arrimer à quelque chose, c'est de te savoir avec la moman. Je n'ai pas à lui dire au revoir de ta part car je te sais avec elle. Ces petits riens de l'existence, qui vous font rois ou gredins à la nanoseconde, qui t'ont fait rencontrer une première fois ton bourreau quand mille autre fois personne ne serait apparu, ces petits riens ne peuvent vous empêcher de vous retrouver. Vous qui ne demandiez rien, qu'au moins cette réponse m'exauce. Je n'ai jamais été bien croyant, mais, voyez, c'est là tout ce qu'il me reste.

Kevin-1677
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le 17 juil. 2024

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