Un petit ouvrage très bien documenté, plein de chiffres, parfois un peu austère. Et écrit par un journaliste indépendant, qui a collaboré avec Le Monde, et que l'on peut donc difficilement considérer comme quelqu'un de radicalisé. Pour autant, il décrit avec beaucoup de précisions les ravages du néo-libéralisme dans le monde du football. Qui sont à peu près les mêmes d'ailleurs que dans d'autres environnements.
Le pognon arrive dans le foot avec les droits télés, dans les années 90; en fait, avec l'essor des télévisions privées. Et dès qu'il y a de la thune à se faire, ça attire les requins. Et c'est comme ça qu'on passe d'un sport disposant d'un ancrage local et social à une industrie de spectacle mondialisée, tournée vers la recherche de profit et de cash, qui met à profit toutes les techniques de gestion économique et financière comme de marketing, dans la seule optique de faire croitre ses revenus. D'où des compétitions relookées pour réduire les risques des investisseurs et des gros clubs, un accroissement évidemment des inégalités entre clubs et joueurs, la gentrification des publics (en stade comme à la télé) transformés de spectateurs en consommateurs et - un peu plus tard - les deux plus fidèles compagnons du capitalisme qui pointent leur nez : la corruption et la répression des opposants. A noter que comme dans les quartiers populaires, la répression des groupes de supporters a servi de laboratoire pour de nouvelles techniques de surveillance et de répression juridique, qui seront généralisées par la suite. A l'instar de ce qui se prépare avec les jeux olympiques Paris 2024.
Ce sur quoi Latta insiste également, c'est que le foot est considéré comme inintéressant par disons les intellectuels progressistes, qui sont ceux qui auraient été les mieux placés pour s'opposer aux dérives que j'évoque plus haut. La réticence (en France) des pouvoirs publics à réguler quoi que ce soit, puis - depuis 1998 - le fait qu'ils aient compris qu'ils pouvaient intégrer le foot à leur propagande a fait le reste. Dit autrement, tout le monde a laissé faire : les opposants potentiels comme la puissance administrative. Et les seuls à avoir ouvert leurs gueules, ce sont les groupes de supporters, ce qui renvoie à la répression évoquée plus haut. Répression particulièrement stupide et brutale en France, demandez donc aux supporters de Liverpool ce qu'ils en pensent.
Ainsi, les évolutions du monde du football ces trente dernières années constituent une sorte de conte de fées néo-libéral : du pognon qui coule à flots et personne pour regarder de trop près les pratiques du business. Tout cela faisant écho à la lamentable histoire du Variétés Club de France (sorte de regroupement d'anciennes gloires qui organise des matchs de charité sous l'égide d'un vieux journaliste sportif), révélée il y a peu, et dont il ressort que la collecte de fonds a bien plus profité au fils du dit journaliste et à celui d'un ancien joueur qu'à la cause qu'elle était censée servir. Avec comme cerise sur le gâteau le penalty du président de la république que le gardien regarde complaisant entrer dans son but.