Au 19ème siècle, l'empire russe parvient à envoyer des hommes sur la Lune. Quelques décennies plus tard, notamment grâce à l'exploitation d'une ressource précieuse nommée "sélénium", la colonie lunaire a prospéré et sa capitale est devenue une métropole capable de rivaliser avec le pouvoir central de Saint-Pétersbourg... De la SFFF française inspirée par la Russie ! il fallait que je me penche sur la question et que je finisse un jour ou l'autre par acheter mon billet de traversier-obus, direction Célestopol... Sa récente réédition chez Libretto, une collection en laquelle j'ai toute confiance, ainsi que ma rencontre avec Emmanuel Chastellière dans le cadre d'un salon où nous faisions tous deux partie des invités, m'en ont enfin donné l'occasion.


Pour en avoir discuté avec l'auteur avant de lire son recueil de nouvelles, je comprends qu'il ait du mal à définir à quel(s) genre(s) le rattacher. Le récit d'une colonisation lunaire, cela semble pourtant évident : c'est de la SF... mais en fait, non. On est ici à des années-lumière de ce qu'a pu faire, par exemple, K.S. Robinson pour l'exploration et la colonisation de Mars. "Célestopol" se caractérise par une absence d'explications scientifiques ou techniques. Ce n'est pas ce qui intéresse l'auteur, qui cherche plutôt (et qui y arrive fort bien ! ) à susciter chez le lecteur l'étonnement, l'émerveillement. Tout le recueil baigne ainsi dans une ambiance Fantasy. Si l'étrange cité de Célestopol a été bâtie sur la Lune, dans un grand nombre de nouvelles cela n'aura pas vraiment d'impact sur le déroulement des événements ; certaines intrigues, à quelques détails près, auraient tout aussi bien pu se développer dans un univers de type médiéval-fantastique. D'ailleurs le ton en est très différent, mais la démarche d'Emmanuel Chastellière m'a rappelé celle de Cédric Ferrand dans "Wastburg" : une suite d'épisodes, souvent sans liens directs les uns avec les autres, dressant le portrait d'une ville imaginaire qui, de fait, endosse le rôle de personnage principal. Ma lecture de cet auteur commence à dater, mais il me semble également avoir retrouvé dans les rues de Célestopol une atmosphère à la Mathieu Gaborit. Il y a pire comme parenté !


L'ouvrage est donc constitué de quinze nouvelles comptant en général autour d'une quinzaine ou d'une vingtaine de pages – le format idéal de la nouvelle selon moi. Prises indépendamment les unes des autres, j'aurais sans doute jugé la plupart d'entre elles bonnes, sans plus ; mais on a là un ensemble de textes homogène, à la qualité constante, qui forment un tout très cohérent. Difficile d'en faire ressortir deux ou trois, toutes ces histoires ont leur intérêt, ne serait-ce qu'en donnant chacune un éclairage différent sur la ville et ses habitants. Célestopol a tant de secrets à nous révéler ! J'aurais peut-être tout de même une petite préférence pour les textes mettant en avant les automates : ceux-ci, par les questionnements moraux qu'ils suscitent, apportent une profondeur supplémentaire à l'univers.


Au rayon des imperfections, j'ai tiqué sur quelques maladresses d'écriture, sur certains passages manquant de fluidité, et noté plusieurs répétitions intempestives qui auraient dû sauter au cours du travail éditorial. Rien de bien méchant toutefois. Petit regret dû à mes penchants russophiles : dans les rues de Célestopol, le lecteur sera amené à rencontrer des sujets de la tsarine, bien sûr, mais aussi de nombreux Français, des Anglais, des Allemands, des Asiatiques, une Québécoise, une Islandaise... bref l'élément russe, qui m'a fait m'intéresser à l'ouvrage en premier lieu, est finalement assez dilué dans le cosmopolitisme de la ville et apparaît en conséquence un peu superficiel, du moins à mon goût. Exemples triviaux mais assez significatifs : il semble qu'à Célestopol on boive plus volontiers une pinte de bière qu'un verre de vodka, et on y utilise le système métrique au lieu des traditionnelles verstes et sagènes...


Ces quelques points faibles ne remettent pas en cause la qualité générale du recueil. Les lecteurs de SF purs et durs risquent de rentrer déçus de leur excursion à Célestopol, mais étant à la base plutôt amateur de Fantasy j'en reviens pour ma part enchanté. Si à l'avenir l'auteur publie d'autres nouvelles dans cet univers (ou pourquoi pas un roman cette fois ?) je serai certainement de la partie.

Oliboile
7
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le 6 sept. 2019

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