Dans ce témoignage récompensé par le prix Médicis, Shulem Deen raconte son quotidien dans une communauté juive ultra-orthodoxe de New-York, et la manière dont il s'est progressivement éloigné de cette communauté. Les haredim skver sont connus pour une pratique particulièrement rigoureuse de la religion. Leurs interdits sont nombreux. C'est dans un quartier skver appelé New Square que se déroule ce récit, dans les années 1990 et 2000.
Elève au heder puis dans une yeshiva, marié à 18 ans sans connaître sa femme, Shulem se retrouve rapidement chargé de famille nombreuse et peine à joindre les deux bouts. Son manque de formation laïque l'empêche d'obtenir un emploi gratifiant. Engagé dans une vie qu'il n'a pas choisie, il développe peu à peu une curiosité irrésistible pour le monde extérieur, ce monde de péchés fortement réprouvé par ses rabbins. Tout commence avec la radio qu'il écoute en cachette quand sa famille dort. Puis viennent les livres profanes, le premier ordinateur, la découverte d' Internet et le blog anonyme qui lui permet de dénoncer le fanatisme. A l'âge de 30 ans, Shulem doit se rendre à l'évidence: il a perdu la foi, il est devenu un incoyant, un hérétique. Or pour les haredim l'héresie est un péché impardonnable, car "celui qui va vers elle ne revient pas". Commence alors pour l'auteur un parcours déchirant qui l'éloignera définitivement, non seulement de sa communauté, mais aussi de sa femme et de ses enfants qui en viennent à le rejeter.
Ce témoignage m'a vraiment passionnée car il apporte beaucoup d'informations sur le mode de vie des Juifs ultra-orthodoxes, un monde en vase clos qui se méfie de la modernité mais développe des stratégies de solidarité pour perdurer et protéger ses membres tout en les surveillant. Le livre est très bien écrit et intelligemment construit; il alterne le présent du narrateur et des "flash back" sur les moments importants de sa vie, de manière à entretenir l'intérêt du lecteur. C'est aussi un récit qui donne à réfléchir. Il serait certes facile de lire ce témoignage comme une simple critique de l'extrêmisme religieux. Mais on peut y voir aussi les épreuves d'un homme qui obtient la liberté au prix d'une grande solitude, un homme qui a perdu son identité et a renié ses racines, avec toutes les désastreuses conséquences que cela implique pour ses proches. Comme le dit fort bien Shulem Deen dans sa postface: " je n'étais pas le seul détenteur de la vérité. S'ils avaient eu l'occasion de s'exprimer ou de prendre la plume, les protagonistes de ce récit, qu'il s'agisse de groupes ou d'individus, en donneraient certainement une autre vision...".