C’est un drôle de métier qu’exerce le narrateur : pourvoyeur de citations littéraires. Surtout qu’il n’a pour seul client son frère dont on ne sait trop s’il est un grand auteur ou un imposteur.

La lecture de Vila-Matas, c’est comme un rendez-vous avec un ami que l’on côtoierait depuis toujours, avec qui les heures passeraient en discussions parfois brillantes, parfois insensées, parfois hilarantes, mais toujours complices, l’un finissant les phrases commencées par l’autre. On n’est pas là pour suivre les rebondissements d’une action endiablée, on est dans la légèreté, dans la nuance, la brume insensée.

Simon se souvient d’une nuit d’octobre au cours de laquelle il se souvenait de… L’essentiel, avant la partie finale, se déroule donc dans la tête du narrateur et les personnages principaux sont absents, mort pour l’un, partie pour l’autre, caché pour le dernier. Mais chacun vient à son tour alimenter les pensées de Simon. Et pendant cette nuit d’octobre, qui se prolonge sur trois journées, la Catalogne, comme le chat de Schrödinger, est une république indépendante sans l’être, des drapeaux différents se croisent dans les rues.

En bon borgésien, Vila-Matas joue avec l’enchâssement des récits, la confusion entre réalité et fiction. Des actions similaires se déroulent dans la réalité et dans le livre qu’est en train de lire le narrateur. Ne serait-ce pas un texte qu’il aurait écrit a posteriori ? L’invasion progressive de l’intertextualité dans le texte nous conduit à nous demander si l’on n’est pas en train de lire un roman écrit par le frère sur Simon, un roman écrivant à l’avance ces trois journées d’octobre, ou si c’est bien nous qui sommes en train de lire…

Extraits

« Je ne sus ou ne pus me débarrasser du soupçon que ce que j’avais vécu avec Siboney à cette occasion semblait avoir préalablement été écrit par Tóibín à son insu et pensai à tous les écrivains qui décrivent des scènes de vies de personnes réelles sans que celles-ci n’en sachent jamais rien et les écrivains encore moins. »

« Il y avait en plus de multiples raisons de poids pour affirmer que n’importe quelle version narrative d’une histoire réelle est toujours une forme de fiction. À partir du moment où l’on ordonne le monde avec des mots, sa nature se modifie… »

« Mais je lui dis qu’on n’accède jamais à la vérité et qu’en plus, il semblerait que tu ne saches pas que lorsqu’on raconte quelque chose qui s’est passé vraiment, les mots eux-mêmes commencent à suggérer des connexions qui semblent absentes des faits décrits… »

Brigou13
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le 30 avr. 2023

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