Il y a, dans les romans de Fred Vargas, des invariables qui font que j'ouvre chaque livre avec sérénité.

Je sais qu'il y aura des personnages construits avec cette intelligence que je ne me lasse pas de saluer bien bas. Un peu étranges, mystérieux, drôles et toujours très humains, ils ont avant tout la particularité (que dis-je, le talent!) de réfléchir à leur manière, suivant une logique qui leur est propre (une petite pensée embuée pour le regretté commissaire Adamsberg, absent de cette enquête, probablement très occupé avec ses propres divagations extra-lucides). Nous prenons alors un plaisir fou à emprunter les petits chemins de travers en leur compagnie, à nous laisser surprendre par la complexité de leurs "personnalités" (oh, et puis merde, oublions les guillemets !). Ce qui est étonnant, c'est que tous ces personnages, décalés, parfois un peu fous, semblent être les plus lucides de tous. Ainsi Néron qui "ne pense pas", mais "voit".
Notons aussi que les personnages secondaires ne sont jamais négligés et sont toujours assez magnétiques pour influer sur le ou les personnages principaux.

Il y aura aussi une atmosphère maîtrisée à la perfection, dans laquelle nous plongeons avec délice. Ici, nous sommes à Rome, entre le Vatican, sa "vaticanne" bibliothèque et la résidence de trois étudiants aux surnoms d'empereurs : Claude, Néron et Tibère. Il n'est évidemment pas anodin, particulièrement dans ce roman, que Fred Vargas soit chercheur en histoire...
Dans "Ceux qui vont mourir te saluent", il y a quelque chose de démesuré, d'excessif. La relation entre les trois "empereurs" est à ce titre fascinante. Citons Ruggieri : "Entre eux trois, il y a quelque chose qui sort de l'ordinaire, une amitié un peu aliénante, si j'ose dire". Ils vont même jusqu'à s'entraîner, en bons amis, dans leurs chutes mutuelles :
"_ Claude, tu bois tout seul. C'est très grave. Laisse moi te faire un bout de conduite dans ta descente aux enfers.
_ C'est gentil de ta part mais ne te dérange pas. Je trouverai bien mon chemin tout seul.
_J'insiste, Claude. Ça me fait plaisir. Je te poserai à la première station.
_ Alors tiens ! dit Claude en lui lançant son verre. Et bonne route, Lucius Dominitius Nero !
_ Merci, Claudius Drusus. Tu es un frère."

Ceci me permettant d'aborder un point primordial dans l'écriture de Fred Vargas: l'absurde. C'est formidable d'arriver à mêler une certaine forme d'absurdité drolatique avec un réalisme aussi précis. Dans ce roman, tout est cohérent, tant l'enquête policière que son cadre. Pourtant, il y a quelque chose d'absurde dans ces personnages décalés, qui se croient encore dans l'Antiquité. Et ils semblent tellement y croire, qu'on y croit aussi. Quitte à passer pour des fous.

Je m'aperçois que je n'ai pas parlé de la construction de l'enquête policière, du suspens, et de tout ce qu'on attend finalement d'un roman policier. C'est que "Ceux qui vont mourir te saluent", est bien plus qu'un polar.
Marie_Tartempio
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le 23 avr. 2014

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