Edouard Louis, Changer : méthode, Le Seuil
Désormais Edouard Louis ressasse et cela nous lasse. « En finir avec Eddy Bellegueule », puissant récit autobiographique de la suffocation d'un adolescent homosexuel dans une famille pauvre du Nord de la France est un chef d'oeuvre qui fut suivi par deux livres de repentir, comme on le dit en peinture de l'artiste qui retouche sa toile, consacrés l'un à son père, l'autre à sa mère, tous deux si apparemment mal traités dans « Pour en finir ». « Qui a tué mon père » était faible. « Combats et métamorphoses d'une femme » admirable. « Histoire de la violence » qui prit place entre le premier et les suivants était le récit oppressant des premiers pas d'un jeune homosexuel dans les nuits parisiennes, qui finira violé par un Arabe qu'il désirait. C'était un grand livre.
« Changer : méthode », dont le titre est mensonger tant le propos est toujours le même, est le retour sur la fuite de cet adolescent du Nord, la nécessité vitale de changer de vie, de s'éloigner de soi, de sa famille, de ses origines pour échapper à la honte sociale et s'inventer un personnage le plus éloigné possible de ce passé qui mine et que l'on souhaite enfouir. Le récit d'un rêve de parvenu et celui de la réalisation ambitieuse, égoïste, narcissique, sans scrupules et auto-justifiée d'une « méthode » : celle des transfuges de classe.
Fait de bric et de broc, d'anecdotes déjà lues dans ses précédents ouvrages, tantôt écrit à la première personne, tantôt à la troisième, tantôt dialogué (avec soi-même, face à un miroir !), tantôt épistolaire (en forme d'excuses à une amie Elena qui fut la première marche d'une ascension sociale, en effet, méthodique, aussitôt franchie aussitôt oubliée), ce livre fait songer à un chutier où l'auteur aurait accommodé les restes, comme le fait une cuisinière qui répugne à jeter.
Ca se lit sans désagrément, mais sans grand intérêt sinon celui, un peu vil mais dont on est malgré tout captif, que suscite une psychologie qui se livre sans fard, mais trop égotiste pour émouvoir et sans doute trop complaisante à soi pour se faire tout pardonner. Car reconnaissons-le : l'auteur qui ne nous épargne rien de ses ambitions de réussite et des moyens mis en œuvre pour y satisfaire (toujours à la recherche de rencontres intéressées : le grand intellectuel, le grand bourgeois, le gros riche, le prof à Normale sup, le dîner le mondain, le ministre, le banquier américain, le maire de Genève, quelques aristocrates, les grands hôtels, le caviar, les grands crus) croit sans doute que tant de confessions conduiront le lecteur à l'indulgence. Et quand ce ne serait point le cas, il lui prend la main, lui suggère la leçon à tirer du tout, prévient tout quiproquo, jusqu'à le culpabiliser s'il se trouvait par erreur dans une disposition contraire : pourquoi serait-il illégitime pour un fils de pauvre d'acquérir par choix ou par apprentissage le capital culturel donné en héritage dans les classes aisées ? Et quand des amis abandonnés lui reprochent d'avoir profité de tout ce qu'ils lui avaient transmis, Edouard Louis s'interroge « Est-ce qu'il y a des individus pour qui le profit est légitime, et d'autres pour qui il est un scandale, une spoliation » faisant mine de croire de l'on accuse de vol quand on est seulement peiné par son ingratitude, son absence de fidélité, de reconnaissance, d'amitié désintéressée.
Les quatre dernières pages, plus apaisées, moins arrogantes, à la manière d'Annie Ernaux, sauvent ce livre et son auteur du naufrage. On y lit cette phrase magnifique : « J'ai détesté mon enfance et mon enfance me manque ». Enfin, un peu de littérature !