La dualité King / Bachman, largement commentée depuis son dévoilement, notamment par l'écrivain lui-même, a beau être rentrée dans les mœurs des lecteurs, elle n'en est pas moins fascinante. Là où King, à quelques exceptions près, essaie de faire briller ce qu'il y a de meilleur dans l'être humain, Bachman est en revanche à la limite du nihilisme, et Chantier, un de ses livres les moins estimés (car sans doute inadapté / inadaptable au cinéma), est un réel joyau noir dans son œuvre.


Au sein d'un récit brillamment construit, Bachman trace le portrait d'un homme qui voit la vie qu'il s'est construite, bon an mal an, menacée d'un inexorable bouleversement : la construction d'une autoroute le force à devoir déménager de la maison qu'il habite depuis 20 ans avec sa femme, et à devoir chercher un nouvel emplacement pour l'usine de blanchisserie qu'il gère depuis des lustres.


Dans un mélange de déni et de révolte, il ment, louvoie, remporte des petites victoires d'amour-propre, et fout surtout sa vie en l'air pour de bon. Allégorie sur la peur du changement, et, en sourdine, de la mort, Chantier n'est pas un roman spectaculaire (sauf lors de deux scènes cathartiques), mais il transmet de manière insidieuse le désespoir profond de son héros. Le compte à rebours avant l'expropriation, le malaise devant les réactions maladroites et parfois absurdes de Bart, qui s'agite tel un insecte sous une loupe, tout cela donne un ton noir, très noir au roman.


Le style de Bachman, sans trop de fioritures "à la King", est totalement dans le ton du récit. Ici, pas de digressions sur d'autres personnages, tout tourne autour de Bart, de son boulot, de ses pensées, de ses souvenirs, et de sa conscience de la fin approchante. Le contexte de la crise pétrolière, très présent, renforce en creux l'idée du "à quoi bon" qui parcourt Chantier, puisque si cette crise est sur toutes les lèvres, elle n'affecte en rien Bart et son introspection désordonnée.


Plus que le récit d'une rébellion contre la société qui évolue impavidement sans se soucier des individus qu'elle broie, Chantier est la brillante analyse d'un homme à bout, et qui l'était déjà des lustres avant que sa vie parte pour de bon en quenouille - ce qui reste encore le plus terrifiant dans ce roman.

Seet
8
Écrit par

Créée

le 6 juin 2017

Critique lue 340 fois

2 j'aime

Seet

Écrit par

Critique lue 340 fois

2

D'autres avis sur Chantier

Chantier
Seet
8

Noir c'est noir.

La dualité King / Bachman, largement commentée depuis son dévoilement, notamment par l'écrivain lui-même, a beau être rentrée dans les mœurs des lecteurs, elle n'en est pas moins fascinante. Là où...

Par

le 6 juin 2017

2 j'aime

Chantier
bobozelda
8

Critique de Chantier par bobozelda

Classé "polar", ce King n'a rien à voir avec un livre à suspense. C'est une introspection sur le deuil et le désespoir, avec un scène de trip particulièrement léchée.

le 3 nov. 2013

2 j'aime

Chantier
KooK-lu
5

ça le fera, ou pas.

Suite à la prolongation d'une autoroute, tout un quartier de la ville [X] est rasé, entreprises et maisons. Fred Dawes s'y refuse, juste il n'accepte pas l'idée de perdre sa maison, une partie de sa...

le 17 oct. 2021

1 j'aime

Du même critique

Spider-Man: Maximum Carnage
Seet
7

Pique-nique en famille

Au vu de la réputation de ce crossover interne aux séries Spider-Man de l'époque, on est en droit de l'approcher à reculons. "Maximum Carnage" suscite en général le désaveu de la part des fans de...

Par

le 27 janv. 2016

11 j'aime

La Fiancée de la jungle
Seet
3

Une affaire de pourcentages

Rien de bien folichon à se mettre sous la dent dans cette simiesque série Z, constituée essentiellement d'un tunnel de scènes de chasse à base de stock-shots - ces derniers constituant à vue de nez...

Par

le 11 janv. 2017

10 j'aime

Hollywood Chainsaw Hookers
Seet
7

On se calme et on boit frais à Hollywood

A première vue, il pourrait être difficile de considérer Hollywood Chainsaw Hookers comme un "vrai" film. Il apparaît surtout d'abord comme un concept, exposé avec clarté dans son titre. Du cul, des...

Par

le 10 mars 2016

8 j'aime