Roman dystopique étonnant et pour le moins original dans l'œuvre de Romain Gary, Charge d'Âme est un livre qui, paradoxalement, m'a semblé aussi intéressant qu'ennuyeux.


Pour faire court, disons que Gary arrive brillamment à soulever de multiples questions éthiques, philosophiques et écologiques, souvent en lien avec les limites de la science ou de l'humanité (avec et sans H majuscule), grâce à l'introduction de cette énergie illimitée et "propre" obtenue par captation de l'âme humaine. Quasiment tous les enjeux liés à ce qu'un tel processus implique sont abordés, non sans tacler à de multiples reprises les excès de zèle scientifiques et leurs détournements militaires, mais Gary étant ce qu'il est, il enrobe souvent ses propositions de clichés historiques et géopolitiques aux relents de Guerre Froide (ex-diplomate, ça laisse des traces) ou s'adonne parfois à l'excès de formules grandiloquentes qui desservent ce que l'auteur tente justement de mettre en valeur (cf : les passages sur Bach, Mozart, Haendel ou autres merveilles du monde lors des "retombées culturelles" et autres hallucinations qui ont fini par me donner la nausée à moi aussi).


Outre ce "name-dropping" des soi-disant plus belles œuvres d'art jamais créées par l'Humanité qui est sincèrement usant, désuet et clairement européanocentré, les points faibles de Charge d'Âme sont multiples : ses personnages sont caricaturaux au possible et bien peu attachants (pour ne pas dire assez pénibles) ; certains chapitres comportent des longueurs terribles et des redondances qui hélas contrastent trop avec une fin qui m'a semblée bâclée, fluette (malgré ses enjeux) et plutôt bancale stylistiquement (les passages du narrateur au journal de Starr sont complètement incohérents et mal départagés) et les prêts-à-penser sur le christianisme et la judéité, certes récurrents dans l'œuvre de l'auteur, n'ont cessé de me faire lever les yeux au ciel (amen). Aussi, et il fallait s'y attendre, on ne peut qu'avoir le cœur serré en lisant par-ci par-là des phrases sur l'inutilité de l'homme impuissant, trop vieux pour séduire et faire l'amour, ou sur le suicide lorsque l'on sait ce qui est arrivé à notre Romain, effrayé par son propre vieillissement, trois ans après la publication de ce roman (mais bon, Romain Gary et l'autoréférence, ça coule de source).


Néanmoins, et je finirai là-dessus, même si le roman a failli me tomber des mains à plusieurs reprises, je dois admettre qu'il contient des passages magnifiques, que ce soit sur l'amour (Gary oblige), la science, l'essence humaine ; que tout cela est agrémenté d'une bonne dose d'humour, tantôt subtil, tantôt gras (parfois pédant) ; et que, presque 50 ans après sa parution, Charge d'Âme est un roman d'une actualité perturbante qui gagnerait à être connu de tous, ne serait-ce que par sa proposition dystopique originale dans le paysage littéraire français comme dans le catalogue de son merveilleux auteur.

PierreQui_Roule
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le 30 nov. 2022

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