Le réalisme, surtout à partir de sa deuxième vague, a au XIXe comme aujourd'hui une même croyance assez effrayante en la méchanceté comme révélateur du naturel.
Partant globalement d'une extrapolation un peu périlleuse au social des mécaniques biologiques évolutionnistes proposées par diverses figures d'ampleur au courant du siècle, le réalisme va en effet vouloir saper une doxa artistique du roman sentimental en présentant des personnages en proie à des situations de tension ; en soi, pourquoi pas ? Nos vies sont semées de rapports interpersonnels plus ou moins conflictuels.
Le souci, c'est lorsque l'on va se mettre à croire, derrière une loupe embuée, que la naturalité, ou l'animalité de l'homme, doit nécessairement s'exprimer par un besoin de ce dernier d'abuser de l'autre sous le masque de l'hypocrisie pour s'en protéger du même coup. La formule est simple : on croit que l'homme habite le monde de la même manière qu'une bête chez laquelle on aura observé que son besoin la pousse à entretenir une relation de prédation avec une autre. On en déduit donc une nécessité de calquer ce schéma de prédation chez l'homme, et on pose que chez ce dernier, la chasse et la dévoration se transcrivent comportementalement dans la société moderne en vampirisation économique.
De là, l'éternelle histoire de l'éternel nerveux au potentiel artistique certain qu'on nous mettra complaisamment en pièces sous les yeux, finissant généralement suicidé ou barbotant dans sa merde, comme une condamnation talmudique des faïences, après avoir été la proie facile de tout un ensemble de carnassiers redingotés définis invariablement par leur capacité immodérée à avoir de l'appétit.
Déjà gênante en soi, la démarche tourne court alors que cette méchanceté que l'on veut inhérente au rapport humain (et donc aux échanges interpersonnages) se transcrit à la manière qu'a l'artiste d'envisager son personnel romanesque.
Mettre en scène la destruction d'un individu (en jouir esthétiquement), ce n'est pas faire preuve d'une attaque contre le conte de fée et ses dérivés dans une démarche courageuse d'objectivation du réel ; c'est sélectionner arbitrairement un sous-type d'interactions sociales qu'on érige dans un acte de foi purement pseudo-scientifique et irréfutable en mécanique indépassable du vivant.
Charles Demailly, à part ça, ressemble exactement à n'importe quel bouquin des Goncourt versions quatre mains que l'on peut trouver. Les paramètres narratifs sont complètement éclatés, la syntaxe est étouffante, le vocabulaire d'une préciosité tour à tour amusante et fatigante, les clefs disposées partout, et les meilleures pages sont toujours des descriptions paysagistes.
Croire au réel est une espérance négative ; c'est un peu déprimant.