En relisant mes notes de lecture sur “La mort de la mort”, je me suis rendu compte que ce nouvel opus est une sorte de mise à jour de l’essai qui a fait connaître Laurent Alexandre en 2011. Il s’agit en fait d’un essai multidisciplinaire très généraliste qui s’interroge de manière critique sur l’avenir de l’humanité. Avenir qui va être fortement impacté par les nouvelles technologies. On retrouve en 2024 énormément d’idées anciennes. Ce recyclage ne m’a pas dérangé outre mesure. Car certains concepts sont fondamentaux. À commencer par le dysgénisme. Avec la fin de la sélection naturelle, le génome humain se dégrade irrémédiablement, “or l'intelligence est majoritairement génétique”. Raison pour laquelle il faudra passer par l’augmentation cérébrale afin de tenter de résister un peu au “tsunami technologique”. La météo des tendances est très claire : le biologique est en déclin tandis que le technologique est en hausse exponentielle. Ainsi, “Le transhumanisme ne sera pas un choix mais une nécessité”. On peut voir dans cette phrase une critique de l’idéologie transhumaniste qui se présente comme démocratique, laissant les individus faire des choix éclairés. Mais le transhumanisme, ce n’est pas juste quelques gadgets qui viendront se greffer sur ceux qui l’auront choisi, c’est une “redéfinition radicale de ce que nous sommes et donc de nos valeurs. C'est en fait une pente glissante” sans retour en arrière possible. Et Laurent Alexandre nous met en garde contre ces dangers.
À l'ère des prothèses cérébrales, le risque de neuromanipulation, de neurohacking et donc de neurodictature est immense. Nous devons encadrer le pouvoir des neurorévolutionnaires : la maîtrise de notre cerveau va devenir le premier des droits de l'homme.
Et il le fait de manière très divertissante. Si comme moi vous aimez vous faire peur ou être fasciné par des idées originales et vertigineuses vous allez adorer. Suivez le guide.
Bienvenue (ou pas) dans un monde où “la biotransgression sera banalisée”, où “l’école ne gérera plus les savoirs mais les cerveaux”, où on fuira “dans la drogue de la réalité virtuelle”, où “le sexe ne servira plus à faire des bébés”, où il sera interdit aux médecins de soigner “sans l’autorisation des IA”. Ca sera la guerre entre posthumanistes jusqu’au-boutistes et modérés souhaitant quand même conserver plus ou moins de choses “au naturel” ou “à l’ancienne”. Pour finir “l’esprit humain va se dissoudre entièrement” dans l’IA car les posthumanistes vont l’emporter.
L'avenir de l'être humain, c'est de ne plus en être un.
Si cet essai est stimulant, il n’en est pas pour autant exempt de défauts. Déjà il y a la personnalité clivante de l’auteur. En général on adore ou on déteste. En ce qui me concerne, je trouve Laurent Alexandre pas toujours facile à cerner et à suivre. Il est parfois bavard, se répète, se contredit, exagère souvent, choque parfois. Il faut dire qu’il a le sens de la formule choc. Certaines de ses simplifications ou métaphores sont brillamment éclairantes. Il a aussi le don de nous faire voyager : dans le métavers et le multivers, l’infiniment petit et l’infiniment grand, le passé et le futur. Malgré ses défauts, j’aime bien Laurent Alexandre. Et j’ai bien aimé cet essai. Il a beau être inégal, il a le mérite d’être très accessible, en particulier à un public francophone éloigné des débats qui agitent la Silicon Valley.
La Silicon Valley et, au-delà, l'ensemble des géants du numérique deviennent les bras armés d'une stratégie visant à rendre l'homme maître de sa propre nature. Comme le dit Luc Ferry, le transhumanisme est un matérialisme qui assimile l'humain biologique à une machine que l'on peut réparer et augmenter. En ce sens, elle organise un changement de civilisation.