- Cléo a 13 ans et vit une existence modeste dans la banlieue de Paris. Un jour, elle rencontre Cathy à la sortie de son cours de danse. Cette dernière, prétendument chasseuse de tête, approche Cléo pour lui proposer une bourse délivrée par une mystérieuse Fondation à de jeunes talents exclusivement féminins. En échange, il faudra simplement continuer à perfectionner sa discipline mais aussi et surtout, apprendre à faire preuve d’une certaine « maturité » lors de déjeuners organisés avec les illustres jurés de la Fondation Galatée…
Nul suspense, le piège se referme sur la jeune fille dès le premier chapitre du livre : Cléo est abusée, violée et entraîne d’autres collégiennes dans son sillage en jouant elle-même la rabatteuse, devenant ainsi complice de ce qui l’a elle-même détruite.
Dans ce roman, pas de manichéisme facile, les bourreaux se confondent avec les victimes. La manière de raconter l’histoire donne le vertige, on fait des allers retours entre le point de vue de Cléo et celui de ceux qui l’ont aimée, connue ou juste croisée pour une nuit. Cette narration est comme un miroir éclaté, dont chaque fragment reflèterait une facette du personnage de Cléo à un moment précis de sa vie (on la suit de ses 13 à ses 48 ans).
« […] ce n’est pas ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce
à quoi nous consentons qui nous ébrèche; ces hontes minuscules, de
consentir journellement à renforcer ce qu’on dénonce. »
Tout en contraste, les différents personnages qui vont croiser la route de Cléo ne sont pas en reste et enrichissent le récit d’une dimension philosophique et de réflexions sociétales. Parmi eux je retiens notamment Serge, le père d’un ami de lycée, qui éclaire et, peut-être, sauve Cléo avec ses mots et sa bienveillance. Il y aura aussi Claude, habilleuse des Diamantelles, qui nous offrira, à travers son oeil acéré, une vision authentique des coulisses d’un grand cabaret parisien en pleine mutation sociale.
De ce désastre intime qui a modifié à jamais la destinée de Cléo, cette dernière ne tire aucune justification pour s’ériger un statut de victime. Au contraire, elle se vit comme « une mauvaise victime ». Elle s’est laissée faire tout en ayant honte de ne pas s’être « détendue » suffisamment. De cette double culpabilité, Lola Lafon tire toute la complexité de son personnage et nous propose une méditation sur le pardon, dans un style littéraire riche et captivant et parvient même, avec ce magnifique roman, à rendre hommage aux artistes trop souvent méprisés du monde de la variété populaire, où les sourires sont contractuels et les faux cils, obligatoires. Entre magie et strass des plateaux de Drucker et coulisses des douleurs.