Après avoir subit un désamour tenace dans nos contrées, Poul Anderson fait l’objet depuis grosso-modo une décade d’un salutaire travail de redécouverte. Et si tout ne mérite pas de rester gravé dans le marbre, reconnaissons qu’une ribambelle de romans et de nouvelles mérite de finir dans l’escarcelle de l’amateur de science-fiction.
Du côté de l’Atalante, on a opté pour la réédition, un peu dans le désordre, des aventures de Dominic Flandry, héros récurrents de l’œuvre de Poul Anderson. Troisième opus de la série initiée par l’éditeur nantais, Chevalier de l’empire terrien regroupe deux courts romans inédits en France. Le premier, Enseigne Flandry (Ensign Flandry, 1966), revient sur la jeunesse du personnage, décrivant les circonstances de son intégration dans les services de renseignements terriens. Le second, Chevalier de spectres et d’ombres (A Knight of Ghosts and Shadows, 1975), prend place au crépuscule de sa carrière, après une vie bien remplie au service de l’Empire.
S’il y a évidemment matière à gloser sur l’évolution personnelle de Flandry, le grand écart entre ces deux romans n’est pas seulement que temporel. Car si trente années s’écoulent entre les deux aventures de l’espion, neuf ans séparent l’écriture des deux textes. Ceci se ressent dans l’écriture, on va le voir, mais aussi dans les perspectives narratives. Enseigne Flandry est un récit rondement mené, sans véritable éclat. Les rebondissements y sont convenus, les personnages stéréotypés, le traitement narratif se révélant au final très « old school ». Bref, on se situe dans la norme des pulps, ni plus, ni moins, avec tout ce que l’exercice comporte comme facilités. Ce n’est heureusement pas le même constat avec Chevalier de spectres et d’ombres qui se révèle le morceau de choix de Chevalier de l’empire terrien. Même si on est très loin des flamboyances déployées par l’auteur dans certains textes du cycle de « La Patrouille du temps » (publié dans son intégralité aux éditions du Bélial’), le recul sur la carrière de Flandry et sur le devenir de l’Empire procure ici une profondeur dont était dépourvu Enseigne Flandry. Certes, le récit ne déroge pas aux conventions du space opera. Mais celui-ci ne se cantonne pas heureusement au domaine de la guerre secrète, avec ses complots et ses faux-semblants, pas plus qu’il ne se réduit aux ressorts basiques d’une aventure pimentée d’un zeste de cynisme.
Poul Anderson ajoute une dimension supplémentaire, propice à une réflexion plus globale que l’on peut interpréter comme une sorte de paratexte implicite. Là se trouve sans aucun doute le point fort de l’auteur états-unien. Pour mémoire, rappelons que le cycle de « L’empire terrien » correspond à une phase de l’histoire du futur suivant celle de « La Ligue polesotechnique ». L’écrivain y dévoile ses représentations sur l’Histoire — représentations qui relèvent de l’Histoire comparée et dans lesquelles l’entropie joue un rôle déterminant. L’empire terrien apparaît ainsi comme un avatar science-fictif des nombreux empires ayant existé par le passé, un avatar décrit ici sur son déclin. Et pendant que le collapsus dure, il ne reste plus à Flandry qu’à faire de son mieux pour repousser la Longue Nuit qui menace de tomber sur la civilisation, avec l’espoir de léguer aux générations à venir le récit édifiant de ses exploits afin qu’elles en tirent les leçons qui s’imposent.
Depuis la parution de Chevalier de l’Empire Terrien, les éditions de l’Atalante semblent avoir mis en sommeil Dominic Flandry. Peut-être les éditions du Bélial’ songeront-elles à le sortir de sa longue nuit lorsqu’elles auront mené à son terme leur projet autour de « La Ligue polesotechnique » ? Avec Olivier Vatine, parce que ses illustrations de couv’ chez l’Atalante étaient bien cool.
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