Étrangement, j'ai beaucoup pensé à Jane Austen en lisant ce roman. Avant ça, je croyais d'ailleurs qu'Edith Wharton était britannique. Elle est en fait américaine et semble avoir consacré une bonne partie de sa vie littéraire à dresser le portrait de la société mondaine new-yorkaise de la première partie du vingtième siècle, comme sa consoeur déjà citée l'avait fait avec la belle société anglaise du siècle précédent. A ceci près que le regard de Wharton est acéré, critique, moderne, voire féministe alors que celui de Jane Austen est davantage conventionnel et prude, à son image.
Chez les heureux du monde (The house of mirth) a un gros point fort : son personnage principal, Miss Lily Bart, une héroïne marquante que le lecteur a du mal à oublier une fois le livre refermé. Le roman est suffisamment dense pour qu'en l'espace de plus de 400 pages d'un livre de poche, on ait le temps de s'attacher à la personnalité complexe de cette jeune femme désargentée qui fait de son mieux pour tenir son rang parmi les très riches de Manhattan. La demoiselle est passionnante à suivre car elle incarne parfaitement les faux-semblants et les combines propres à son milieu, avec tout ce que ça représente de frivolité, de snobisme et de dédain. Sa chance, ou sa malchance, étant de posséder aussi l'irrésistible charme d'une individualité beaucoup plus solaire, spontanée et désintéressée qu'elle ne le croit elle-même. Je me suis surpris à être presque agacé par son indépendance de corps et d'esprit alors qu'elle aurait pu jouer à fond le jeu du mariage arrangé, rabattre le caquet de ses rivales et enfin briller au firmament de la Cinquième Avenue.
Au bout du compte, la plume raffinée, harmonieuse et presque légère d'Edith Wharton est trompeuse car je n'ai rien vu venir de l'épilogue de ce très beau roman de la Belle Époque.