Ma vie avec Clint
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le 14 oct. 2016
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Philippe d’Iribarne étudie l’impact du milieu culturel ou religieux sur l’accueil, ou le rejet, de la modernité. Son dernier livre peut être reçu comme une synthèse de ses travaux. Je me garderai bien d’en proposer une recension, encore moins une critique, mais tenterai d’en extraire quelques pistes de réflexion, vous invitant à lire ce très riche ouvrage.
1 – D’Iribarne distingue le corps politique de notre société voué aux idéaux des Lumières, quasi spirituel, du corps social, on n’ose dire réel, marqué par les contingences du monde.
« Le monde régénéré que la modernité invite à construire est en quelque sorte hors sol. Peu importe à quels humains on s’intéresse, leur culture, leur religion, leur être intérieur avec tout leur rapport au monde, la manière de ressentir et de vivre les événements associés à celui-ci (p. 51). » Les maux qui accablent l’humanité ne peuvent avoir pour origine que dans l’organisation de celle-ci.
2 – L’apport caché du christianisme
Si la Chrétienté historique est une fiction, des sociétés ont bien été maturées par des siècles de christianisme. Le triptyque « liberté, égalité et fraternité » n’est pas apparu par hasard en Occident.
Les sociétés traditionnelles, dont les Grecs anciens, honorent les puissants et méprisent les faibles. Jésus invite à douter de la grandeur des premiers et à respecter les seconds.
Idem de la fraternité : Le Christ ne nie pas l’adversité, il reconnait l’existence d’un adversaire à combattre, mais il nous appelle à l’aimer ! Ce faisant, il nous préserve de la haine, implacablement mimétique. Ainsi, la notion d’honneur a été transformée. L’insulte n’avilit par le chrétien : « (Saint Augustin) affirme, contrairement aux évidences du temps, que c’est ce que l’on fait et non pas ce que l’on subit qui déshonore, et il s’appuie pour ce faire sur les propos évangéliques liant l’impureté à ce qui sort du cœur et non à une souillure extérieure (p. 100). »
3 – Christianisme et modernité
Après un raidissement doctrinal au XIXe, le catholicisme a accepté l’analyse critique de ses textes fondateurs et de sa tradition. Il y a gagné en fidélité à la parole du Christ. Si la vérité rend libre, Jésus invite à penser par soi-même : « Pour toi qui suis-je ? » La foi ne préserve pas du doute, elle n’assure pas un confort préservé des interrogations existentielles. « Reconnaître que l’on a du mal à penser Dieu ne détourne en rien de le suivre, comme les apôtres ont suivi Jésus sans être capable de le penser (p. 50). »
La post-modernité exige de tout relativiser, refuse toute discrimination pour tout intégrer en son sein. Or, le chrétien croit à une vérité révélée. Intégrer des personnes, toutes différentes, n’oblige pas à relativiser des valeurs ni à autoriser des anti-valeurs.
4 – Limites de la modernité
La modernité exalte l’indépendance, l’émancipation radicale de toute domination, elle exige des droits individuels. Quid des plus fragiles : personnes handicapées, vieillards, exclus ? Pour le Christ, l’essentiel se reçoit d’un tiers.
La modernité est bâtie sur une idole raisonnable, « un mythe grandiose, opposant un passé de ténèbres et d’oppression à un futur lumineux où la mise à bas des dominants aura engendré un monde de liberté et d’égalité (p. 200). » La version post-moderne disqualifie, comme impurs ou réactionnaires, tous ceux qui posent des questions quant à l’excellence du projet.
La modernité semble se méfier de ses principes démocratiques. « De nos jours, les sociétés européennes sont marquées par la place croissante prise par une régulation juridique, La Cour européenne de justice et la Cour européenne des droits de l’homme. Cette régulation conduit à assurer la prééminence de principes sur la volonté populaire exprimée par les assemblées élues. Tel Ulysse se faisant attacher au mat de son bateau pour résister au chant des sirènes, les politiques se lient en quelque sorte les mains face aux pressions de leurs mandants en se mettant sous la dépendance d’instances gardiennes du droit, instance qui n’ont aucun compte à rendre à des électeurs susceptibles de faire fi des « principes ». Comme, sous une autre forme, dans la République islamique d’Iran, il revient à une sorte de caste sacerdotale de veiller à ce que les principes dont elle est gardienne encadrent l’action du pouvoir séculier. Le corps politique, avec sa dimension sacrée, se trouve à l’abri des pressions d’un corps social profane (p. 214-215). »
D’Iribarne conclue « Une identité chrétienne est à reconstruire, aussi attentive aux apports de la modernité, dans sa quête de vérité, que sans illusions sur ses ombres. Et une identité de moderne qui accepte sa finitude reste à construire aussi. »
Au boulot !
Décembre 2017
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le 12 juin 2016
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