Après la fort sympathique lecture que fut Le Déchronologue, je m'étais promis de lire davantage de Stéphane Beauverger. Or, davantage de Stéphane Beauverger, à l'heure actuelle, cela veut en gros dire la « trilogie Chromozone », composée de Chromozone, Les Noctivores et La Cité nymphale. Va donc pour ce premier volume, récemment ressorti en poche chez Folio-SF.
Chromozone, donc. Un univers passablement glauque, au carrefour du post-apo et du cyberpunk. La Terre a été balayée par un virus informatique (Chromozone, donc...), qui a foutu un sacré bordel, en anéantissant en gros tous les processus de communication informatiques. Les États-nations et autres centres traditionnels du pouvoir, a fortiori dans les pays dits développés, se sont balkanisés et repliés dans un enfer communautariste, basé sur l'appartenance ethnique, la religion ou l'idéologie ; un sacré cauchemar en ce qui me concerne, au-delà, bien sûr, des simplifications médiatiques se cantonnant à la paranoïa ethnocentrique obsédée par « l'envahisseur » supposé menacer « l'identité » ; le vrai problème, à mes yeux, est bien celui du repli sur soi, du retour de bâton national ou local (identitaire, donc...) contre toute velléité cosmopolite ou simplement fédérative. Et étrangement, mais je dis peut-être des bêtises, je n'ai pas l'impression que ce thème ait été si traité que ça en SF (empreinte de « l'État mondial » des origines, et des méga-corporations du cyberpunk ?) ; c'est à n'en pas douter en ce qui me concerne un des gros points forts du roman.
Dans ce cadre terriblement pas glop (où, paraît-il, « il n'y a plus de place pour la bêtise », mais on est en droit d'en douter...), nous suivons essentiellement trois personnages dans trois villes.
Marseille. Le colosse Teitomo est, étrangement (ou pas) si l'on prend en compte son passé révolutionnaire, un flic. Il gère les choses à sa manière, et c'est pas évident. Surtout à l'heure actuelle, alors que les communautés s'affrontent, ce qui pourrait bouleverser la carte politique locale (tout est envisagé du point de vue local). Et puis il y a Khaleel, l'ancien mentor de Teitomo, devenu à peu de choses près un ordinateur vivant (et un prophète...), dans ce monde où les anciens réseaux informatiques infestés par le Chromozone ont été remplacés par la communication par phéromones...
Ouessant. Pardon, Enez Eussa. L'île bretonne est un camp de réfugiés sous la coupe des Keltiks, d'infects nazillons celtillons dirigés par le Tore. Mais le jeune Gemini ne reconnaît pas cette autorité (et il a de très bonnes raisons pour ça...). Avec la bande de la maison-tortue, il entend constituer une alternative ; même si, dans l'immédiat, leur préoccupation essentielle est la simple survie. Quel qu'en soit le prix.
Berlin. Justine est un ponte de Karmax (aha), un de ces grands consortiums qui refont surface, grâce au génie de son époux Peter Lerner. Mais d'autres consortiums, et notamment Zentech, sont à l'affût...
Évidemment, ces trois trames sont amenées à se rejoindre... plus ou moins bien. J'aurais en effet tendance à dire que le roman ne rattrape pas tous ses boulons, ce qui donne à l'occasion un léger sentiment d'artifice, et qu'il peut laisser un tantinet sur sa faim... Mais ce n'est après tout que le premier tome d'une trilogie, on verra bien si la suite permettra de revenir sur ces défauts (EDIT : non).
Mais, au-delà de cette critique globale, le fait est que c'est pas mal du tout. On se laisse volontiers prendre par la plume débutante de Stéphane Beauverger (pas exempte de défauts dans ce premier roman, cela dit : il en fait parfois un peu trop, et a un usage déconcertant du point d'exclamation ; mais le style est dans l'ensemble fluide et intéressant), et c'est avec plaisir qu'on tourne les pages de ce Chromozone. Si certains pans de l'intrigue sont largement prévisibles, si le postulat technologique n'est pas spécialement intéressant ou inventif, on adhère pourtant à cet univers finalement plus original qu'il n'y paraît, et à ces personnages plutôt bien campés.
Avec ses défauts, Chromozone n'en est pas moins un roman de SF tout à fait recommandable, à la fois prenant et intelligent, et où fond et forme sont également travaillés. Certainement pas un chef-d'œuvre, mais néanmoins quelque chose de fort intéressant. L'émergence d'une « voix », très personnelle. Et c'est à bon droit que l'on pouvait voir en Stéphane Beauverger, à la seule lecture de Chromozone, un auteur « prometteur ».