Le Destin est sans nul doute le thème le plus ancien et le plus commun de toute l'histoire de la littérature. Déjà dans l'Antiquité, quand les dieux (ou quelque puissance encore supérieure) avaient décidé qu'un homme devait crever, c'était fini pour lui. Qu'il s'installe dans la tanière d'un loup ou qu'il se réfugie à l'autre bout du monde avec une collection d'armes et de charmes protecteurs, son sort ne faisait aucun doute. Les tragédies n'ont par conséquent jamais été des genres propres à susciter un quelconque suspens.
Afin d'évacuer tout doute sur la question, Márquez prévient d'emblée le lecteur, dès le titre pour être certain de ne tromper personne sur la marchandise (désolé pour ceux qui pensaient à une arnaque) : le personnage principal va mourir. Pour être plus précis, il est déjà mort lorsque le narrateur entame son récit. Celui-ci repose sur un ordre non-chronologique, suivant la trame d'une espèce d'enquête où, selon les témoignages, on revient sur tel ou tel moment pré ou post-mortem. Ce faux problème du suspens résolu, vient alors la question: à une époque où la toute-puissance divine s'est étiolée, sur quel élément rationnel peut s’étayer le concept de destin ?
Car c'est dans le comportement des humains, ce foisonnement de personnages habitant un village imaginaire d'Amérique du Sud, que l'auteur va tenter - du moins le croit-on au début - de trouver la cause de la mort étrange de Santiago Nasar. Autant dire que sur ce coup-là, c'est plutôt mal barré.
Des explications, il y en aura. Mais jamais elles ne permettront de fixer une théorie globalisante qui tienne le coup. Les hasards, les malentendus, la méchanceté, tout s'imbriquera de façon plus ou moins chaotique pour aboutir à l'événement funeste. Le final ira jusqu'à souligner un comportement parfaitement incohérent de la part du héros, incohérence sans laquelle le meurtre n'eût sans doute pas été possible. Un peu comme dans ces horripilants films d'horreur lorsque la blonde aux gros seins se sépare du reste du groupe après avoir dit "Je reviens tout de suite, j'ai cru entendre du bruit dans ces buissons démoniaques."
Ce rassemblement de causes cohérentes et incohérentes dresse sans doute un bon tableau de la réalité, où l'insensé domine souvent, il faut bien l'avouer. Mais étrangement, je n'ai pas considéré cela comme une véritable force pour le roman. Certes, narrativement parlant, c'est très riche - trop riche ?- et Márquez a de toute évidence un don pour faire vivre, même en peu de pages, un village de pure invention. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de me demander en fin de course: à quoi bon ?
Quelle valeur ajoutée par rapport à un véritable fait-divers sordide si ce n'est justement le dévoilement du foisonnement souvent dissimulé derrière l'apparente simplicité du quotidien ? Défragmenter l'étrangeté de la vie en ses multiples composants de pure banalité, je ne trouve pas cela spécialement intéressant. Je dirais même que c'est l'inverse du devoir que j'imagine dévolu à la littérature et à l'art en général: réenchanter le monde. Chronique d'une mort annoncée le désenchante sadiquement tout en mettant en avant le côté absurde de la vie - personnelle comme sociale.
Je crois n'avoir jamais proposé de critique aussi subjective. Il n'y a pas, je pense, de réel défaut à soulever: l'écriture est plutôt bonne, l'atmosphère particulièrement bien retranscrite, et le tout n'est pas dénué d'humour. C'est juste que je n'ai pas accroché au concept pour les raisons que je viens de décrire.
Malgré tout, je déconseillerais de commencer par ce petit livre pour découvrir l'auteur. Cent ans de solitude me semble un choix bien plus plus pertinent quoique plus prévisible.