1.
C’est assez difficile à croire, mais Chroniques d’une station-service est composé de courts segments, tous numérotés, parfois affublés d’un bis, d’un ter ou plus si besoin.
2.
Quelle drôle d’idée ?
3.
Et pourtant en morcelant son roman Alexandre Labruffe ne fait rien d’autre que trancher dans le quotidien de son personnage, de ses pensées, de ses espoirs, de ses rencontres. Et c’est fabuleux.
4.
Un pompiste, en banlieue de Paris, une station service un peu à l’écart, avec quelques bâtiments autour, mais rien de bien urbanisé, même s’il s’y traîne peut-être d’autres histoires. On ne le saura pas, pas avec certitude. Une station service au centre du monde, selon le personnage principal.
5.
Des rencontres s’y font, le plus souvent occasionnelles, avec quelques régulières. Des gens de tous les jours, des personnes plus surprenantes, la station est au service de tout le monde. Notre pompiste en dressera quelques portraits, quelques allusions, et parfois ce ne sera que quelques lignes pour en faire la connaissance et mieux les laisser partir.
6.
C’est un autre rapport au temps. Au centre le pompiste, et autour le monde s’agite, veut sa friandise, un café, faire passer un message à un autre, prend possession du parking, et autres. Notre personnage est là, il n’a pas un grand pouvoir pour changer le monde, il constate, il observe, il réfléchit, il s’interroge.
6 bis.
Des pistes sont lancées, certaines continueront, d’autres s’arrêteront, et on le sait, le lecteur l’aura compris, il est invité, il n’aura pas toutes les clés, et c’est tellement agréable de se sentir spectateur sans être faussement impliqué.
7.
Un ouvrage incroyable, sidérant, palpitant. Un coup dans le coeur arrivé sans prévenir.
8.
Incroyable comment avec si peu de mots et une narration découpée l’auteur arrive à créer une ambiance, un cadre et des personnages. Le quotidien est là, mais avec une légère touche d’étrangeté, un absurde flou, un détournement de la réalité sans excès.
8 bis.
Il faut vraiment aimer les stations services, les fréquenter, en sentir l’essence, la poussière et la sueur pour leur offrir un tel livre à leur mesure.
8 ter.
Il faut avoir une certaine maîtrise du verbe et du langage pour offrir tellement avec des phrases si courtes, des instantanés de pensées, des bouts de descriptions.
8 quarto.
Alexandre Labruffe ridiculise tous ces romanciers et romancières qui brodent des pages et des pages en pensant construire un livre, un univers, une évasion, mais qui ne font qu’étouffer le lecteur.
9.
C’est le premier roman d’un auteur à suivre, au parcours bien rempli, avec une évidente personnalité. Il a vécu à Wuhan, la ville maudite d’où est parti le virus qui aura tant occupé et malmené 2020. Son livre suivant en fait le récit, Un hiver à Wuhan .