Nous étions fossoyeurs d'un monde à l'agonie, en même temps que fantômes conscients d'être morts-nés

Alors que je terminais "Ciel brûlant de minuit", me trottaient dans la tête ces deux vers de Thiéfaine, que je reprends du coup comme titre pour ma critique. Même si les paroles de la chanson dont ils sont tirés n'ont finalement pas forcément au premier abord d'un rapport évident avec ce que raconte ce bouquin. D'ailleurs, voici le lien pour vous faire votre propre idée et écouter "Exil sur planète fantôme" en lisant la suite de cette critique :
https://www.youtube.com/watch?v=mZS1-20g1J8


Voilà, je viens d'inventer la critique multimédia, quelle innovation disruptive, non ? ^^


Pour en revenir à nos moutons (ou à ce qu'il en reste), fossoyeurs d'un monde à l'agonie , c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous sommes au 24ième siècle, l'homme a rendu la terre quasiment inhabitable, mais continue d'en exploiter les ultimes ressources, guidé depuis des siècles par sa foi dans le fait que sa maitrise technologique lui permettra de continuer à l'habiter, et cela bien sur sans remettre en cause ses us et coutumes. Sauf que ça fait plus de quatre siècles que la pollution s'accumule et que les ressources s'amenuisent. Il n'y a plus de couche d'ozone et terre, mer et ciel sont truffés de saloperies. Il y a un chapitre extraordinaire vers la fin du livre, où l'un des personnages traverse les Etats-Unis de San Francisco à Chicago, dans des paysages d'apocalypse en récitant des passages du miserere. Poignant. Ainsi, Silverberg nous livre une description effrayante et saisissante de réalisme de cette planète, dont l'humanité a désormais compris que dans une centaine d'années tout au plus, elle ne serait plus habitable par l'homme. Et d'autant plus effrayante que le livre a été écrit il y a près de 40 ans (1980) et qu'il semble que tout ce que l'on a observé depuis va bel et bien dans la direction vers laquelle Silverberg nous amène.


Et les fantômes conscient d'être morts-nés, me direz-vous ? Eh bien, "Ciel brulant de minuit" aurait pu se contenter d'être une (très bonne) dystopie écolo, nous assénant sans merci le martyr de la terre au 24ième siècle. Mais ce qui est vraiment fort, c'est qu'en plus il y a ajouté une vraie dimension humaine à travers quelques personnages fort réussis, dont la profondeur constitue l'un des points forts du bouquin. Personnages désespérés, parfaitement conscients de l'absence d'avenir de leur descendance, et qui continuent à faire semblant, à vivre leurs vies fantomatiques. Employés de grandes multinationales japonaises (qui dominent désormais le monde), chercheurs, psys, artistes, espions qui vivent des amours de courte haleine et s'activent à assouvir leurs pitoyables ambitions et leurs pulsions sexuelles. Tout en ayant conscience de la vanité plus que jamais évidente de leurs desseins, dans un système social qui continue à s'auto-alimenter. Inutile de préciser qu'alcool et drogue sont souvent leurs compagnons de route.


Voilà, j'avais découvert Silverberg à travers le très moyen "Roma Eternae", j'y suis revenu il y a quelques temps avec "L'oreille interne", très bien, mais qui tient plus de Woody Allen que du genre de la science-fiction. Là, maintenant, je suis pleinement convaincu. Et je crois bien que je vais m'intéresser de près au cycle de Majipoor...

Marcus31
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le 16 mars 2018

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