Civilizations
6.4
Civilizations

livre de Laurent Binet (2019)

Bah c’était sympa cette petite uchronie!
Alors certes, ça casse pas des briques, que ce soit dans le style ou dans la portée politique du propos.


Cela dit, il y a quand même un petit effort de faire dans la chronique royale façon 16ème, et dans le récit picaresque dans la dernière partie sur Cervantes. Laurent Binet aurait pu travailler davantage la langue et les tournures pour se rapprocher de la période, mais peut-être par volonté de ne pas perdre le lecteur moderne a-t-il préféré conserver un style plutôt épuré (et c’est un peu dommage).


Le détournement historique propose des petits jeux qui font sourire : la pyramide du Louvre devient une pyramide maya sur laquelle François 1er est sacrifié, le Greco est une espèce de fanatique chrétien adepte du coutelas. On s’amuse aussi de littérature, avec le duc Lorenzo de Medicis, qui, comme dans la pièce de Musset, tente le coup d’état pour établir la République et devient Lorenzaccio le traître. Le style de Rabelais plait beaucoup aux Incas par sa truculence, Michelangelo s’attèle à la construction d’un temple du soleil à Séville.


Il y a un propos politique qui, s’il aurait gagné à être plus appuyé reste néanmoins intéressant. A la manière des Lettres Persanes, Civilizations décentre notre regard occidental, nous fait voir notre société à travers les yeux des autres. On pointe l’hypocrisie de la monogamie chrétienne qui n’empêche pas les rois et les papes d’avoir des favorites (Henri VIII d’Angleterre sera vite séduit par la doctrine beaucoup plus libérale des Incas sur le sujet), on tance la violence de l’Inquisition au nom du « dieu cloué », l’exclusivité absurde d’une religion qui ne tolère pas les autres, la vanité du conflit entre les protestants et les catholiques, sur des sujets « futiles » comme la transsubstantiation.


Les Incas sont horrifiés par les inégalités terribles qui structurent la société et proposent un modèle collectiviste, proche de celui d’un Bernard Friot (les 12 articles de la paysannerie alsacienne me font un peu envie, je l’avoue!). Ils proclament la liberté de culte à Séville. Ils reprennent les critiques légitimes des Luther et Müntzer sur l’hypocrisie et la pompe de la religion catholique, mais écartent de leurs propos tout fanatisme religieux. A la manière des antiques Romains, du moment que vous vénérez le soleil et que vous contribuez un peu aux choses publiques, faites ce que vous voulez. Ils se mettent ainsi dans la poche tous les exclus de la Renaissance : les « morisques », les Juifs, les paysans. C’est assez jouissif, à défaut d’être réaliste.
J’ai donc pris globalement plaisir à (re)découvrir certains faits et personnages hauts en couleur de cette période, et j’ai passé de bons moments estivaux avec ce livre, une petite mauresque en main.

Gooule
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le 26 juil. 2024

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