Rompant avec la violence et les conflits au centre de ses précédents ouvrages, Yasmina Khadra s’inspire d’une pâtisserie algérienne, « qaleb ellouz » ou « coeur-d’amande », très consommée pendant les soirées du Ramadan et évocatrice de douceur dans une période harassante, pour nous emmener dans un Montmartre populaire aux allures d’oasis d’amitié et de solidarité.
Rejeté par sa mère parce qu’atteint de nanisme, Nestor le narrateur n’en a pas moins toujours vécu avec bonheur auprès d’une grand-mère aimante, dans un modeste appartement de Barbès, au pied de la Butte Montmartre. Désormais âgée, celle qui, retraitée de l’éducation nationale, a su l’instruire quand l’école supportait mal son handicap et encourager chez lui l’amour des livres et de l‘écriture, commence toutefois à perdre la tête. D’abord licencié du magasin de chaussures qui l’employait, puis expulsé du logement où il vivait avec sa chère aïeule lorsque celle-ci est envoyée en maison de retraite par le juge des tutelles, Nestor voit sa vie, jusqu’ici précaire mais joyeuse, s’effondrer comme un château de cartes.
« On est qu’une idée, mon gars, une seule et unique misérable saloperie d’idée. L’idée que l’on se fait de soi ou bien l’idée que les autres se font de nous. Avec laquelle tu veux vivre ? » Comme l’auteur a su faire avec les coups du sort grâce à ce qu’il explique d’un optimisme bâti sur l’amitié et sur des lectures qui l’ont marqué, Nestor, entouré d’indéfectibles copains et soutenu par les petites gens de son quartier, va réussir à affronter l’adversité et à reprendre son destin en main. « Je considère l’existence comme une offrande inespérée sous une cloche de verre piégée. J’ai le choix entre la contempler en salivant dessus ou bien soulever la cloche. J’ai choisi de prendre le risque. » Et entre courage d’être soi, amitié et solidarité, la résilience sera au rendez-vous malgré la différence, la pauvreté et les duretés de la vie.
Conte à la tonalité feel-good aussi sucré que la pâtisserie de son titre, ce dernier ouvrage en date surprend dans l’oeuvre plutôt dramatique de l’auteur. La relative déception ressentie au premier degré de la lecture s’estompe toutefois face à la puissance de ses arômes particulièrement longs en bouche. Pris d’une vraie affection pour ses personnages – de petites gens comme souvent le coeur sur la main –, ému par la dédicace à la propre grand-mère de l’auteur et à toutes les autres, et comme toujours admiratif de cette plume si belle et si maîtrisée, l’on se laisse malgré soi emporter par le charme tendre et non dénué d’humour de cette histoire de résilience qui semble beaucoup emprunter au tempérament sincèrement optimiste de l’écrivain. Au point que ce nain devenu un géant des lettres à force de ténacité, de solidarité et d’amour de la littérature finit par paraître, d’une certaine façon, une sorte de projection du moi profond de l’auteur.
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