Les parcours cabossés, hésitants ou encore tâtonnants sont toujours très riches. Ils mettent en lumière un apprentissage toujours présent, au grès des rencontres, des lectures, des cheminements de pensées, et viennent nourrir en nous des possibilités nouvelles.
Récemment, deux itinéraires ont attiré mon attention : celui de Corinne Morel-Darleux, qui, d’abord consultante pour des entreprises du CAC 40, fait un virage serré à gauche, avec un passage au Parti socialiste, puis au Parti de Gauche (où elle écrira un certain nombre de livres sur l’écologie) pour finalement se détacher des partis politiques et écrire un livre riche sur l’effondrement aux éditions Libertalia. Le second concerne Isabelle Attard, députée EELV en 2012, qui publie un ouvrage en octobre 2019 sur sa mue politique opérée depuis. 7 ans de changement personnel qu’elle évoque dans ce livre.



De l’Assemblée nationale …



Née en 1969 dans le Loir-et-Cher, Isabelle Attard s’installe en Suède en 1990, avant de travailler en Laponie comme cheffe d’entreprise dans le tourisme. De retour en France en 1997, elle devient archéozoologue avant de travailler au muséum national d’histoire naturelle. Après d’autres voyages et pérégrinations, elle se présente aux élections législatives de 2012 sous l’étiquette EELV. Élue députée du Calvados, elle entre à l’Assemblée nationale avec beaucoup d’espoirs, qui seront vite déçus. Côtoyant le sexisme de ses collègues – elle est, avec d’autres, à l’origine de l’affaire Denis Baupin, témoin de la politique libérale du PS au pouvoir, combattant les lois sécuritaires et liberticides de la majorité, Isabelle Attard ressort de son mandat de députée ébranlée.


Se présentant à nouveau en 2017, elle est finalement battue par le candidat En Marche ! Face à ce nouveau choc, une nouvelle voie s’ouvre à elle, déjà en gestation au cours de sa mandature. La découverte de Murray Bookchin la bouleverse, le visionnage de L’histoire populaire des États-Unis ou encore de le documentaire de Trancrède Ramonet sur l’anarchisme lui offre à voir une alternative politique à ses impasses vécues. Les différentes graines germent, menant donc vers un nouveau cheminement politique.



… à la reconstruction politique anarchiste



Isabelle Attard tente, dans ce livre – et c’est là le sujet central au final – de réhabiliter l’anarchie politique. Il faut dire que « l’anarchie » est souvent considérée comme un état de désordre pattant voire un mouvement violent, et non plus comme une théorie politique émancipatrice, qui a joué – et qui joue encore – un rôle important dans l’histoire des gauches. Du vécu même d’Isabelle Attard, « essayez d’en parler pendant les repas de famille et ce que vous lirez dans les yeux de votre entourage ressemblera bien plus à de l’effroi qu’à de l’admiration » [p.88-89].


Se définissant elle-même comme « éco-anarchiste », elle pointe du doigts le rejet en bloc du mot, à l’image de Nicolas Hulot qui a déclaré, « ‘l’écologie n’est pas l’anarchie » [p.73], ignorant (ou faisant mine d’ignorer) que beaucoup de penseur sont à l’origine d’une pensée écologique, et ce bien avant les rapports du GIEC. Le travail du philosophe et historien Serge Audier est à ce titre époustouflant : Élisée Reclus, Murray Bookchin, Auguste Blanqui, Henri Zisly, Lucien Barbedette, sont autant de figures qui ont joué un rôle pionnier dans l’articulation de la pensée sociale et de l’écologie, sans oublier des figures féministes, comme Louise Michel, défenseuse du bien-être animal, ou encore Emma Goldman, fondatrice du journal Mother Earth.



L’anarchie comme réponse au dérèglement climatique



L’apport intéressant du livre, à mon sens, est de (re)politiser la question de l’effondrement écologique. Popularisé par Pablo Servigne et Raphaël Stevens, l’effondrement de la société thermo-industrielle est en cours, et mènera, à terme, à de profonds changements politiques, sociaux, vitaux. Le reproche fait de manière générale à la collapsologie (discipline scientifique étudiant les données de l’effondrement) tourne justement autour de la réponse politique à apporter à ce véritable choc : elle est quasi-nulle. Le capitalisme comme principal responsable du dérèglement climatique y est peu pointé du doigts, les auteurs se défendant que, d’un point de vue stratégique, et pour sensibiliser largement les personnes, ils ont préféré ne pas polariser un débat politique autour de ce thème.
D’ailleurs, Corinne Morel-Darleux, lors d’une présentation de son livre à l’Université Toulouse Jean-Jaurès, a rapporté l’état d’anxiété et de torpeur qui touchent les jeunes ayant découvert les théories sur l’effondrement, la cause étant pour elle une grille de lecture politique absente pour cette jeune génération.


Isabelle Attard, dans ce livre, prend acte de la véritable impuissance des gouvernements devant cet enjeux. À travers différents exemples concrets de pratiques anarchistes, elle fait le pari que la seule réponse politique se trouve là. Réhabilitant des figures et des événements comme Nestor Makhno, le Conseil Régional de Défense d’Aragon pendant la Guerre d’Espagne, le Rojava, le Chiapas ou encore la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, toutes ces expériences sont autant de ressources dans lesquelles piocher pour penser l’avenir. Je ne reviendrais pas sur le débat autour de la théorie de la confédération des communes libertaires proposée par Murray Bookchin – je l’ai évoqué ici -, mais face aux impasses actuelles, Attard propose d’appliquer le précepte de l’intellectuel anarchiste Errico Malatesta, pour lequel « il ne s’agit pas de faire l’anarchie aujourd’hui, demain, ou dans dix siècles, mais d’avancer vers l’anarchie, aujourd’hui, demain, toujours » [cité p.144].


La critique complète avec liens et compléments ici

delivrons-nous
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le 19 déc. 2019

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