(Copié-collé de ma fiche de lecture perso sur le livre)
L'auteure
Isabelle Attard est docteure en archéozoologie, anciennement directrice de musée et députée entre 2012 et 2017 (étiquetée EELV pendant une partie de son mandat). Elle a eu des prises de position fortes contre l'état d'urgence ou encore les violences sexuelles de députés (notamment dans l'affaire Baupin).
Le contexte
Aux lendemains de sa défaite aux législatives de 2017, Isabelle Attard se met à déconstruire sa vision de la politique, de l'écologie etc... et découvre l'anarchisme, un idéal politique dans lequel elle reconnaît ses idéaux d'égalité, d'entraide, d'écologie ou de féminisme.
Le livre, ses idées principales
La domination et les illusions
Isabelle Attard commence par évoquer son parcours par le prisme de la domination.
-> Celle d'un chef sur son équipe. A son arrivée à la tête du musée de Bayeux, elle a voulu tenter un fonctionnement plus horizontal où chacun pourrait proposer des choses. Les habitudes étant bien ancrées, et le fonctionnement pyramidale tellement implanté que cela n'a pu vraiment se faire. A l'Assemblée Nationale, elle a pu noter également cette domination et ce dédain pour les assistants parlementaires notamment.
-> Celle des hommes sur les femmes. Une fois députée, elle a pu se rendre compte du sexisme ordinaire à l'Assemblée Nationale et dans sa circonscription auprès des élus. Au-delà de la misogynie quotidienne, elle sera notamment une des instigatrices de l'affaire Baupin, député qui a harcelé un grand nombre de femmes pendant des dizaines d'années.
-> Celle des humains sur les animaux. Son passage par la Suède, et ses études en archéologie et zoologie l'ont emmené progressivement à remettre en question la supériorité de l'humain sur les animaux. Elle évoque notamment le roman de Daniel Quinn, "Ischmael", qui l'a inspiré sur ces questions.
Elle retirera tout de même des points positifs de son mandat. Elle a par exemple lancé une expérience de démocratie participative en mettant en place un jury tiré au sort pour distribuer la réserve parlementaire. Ce processus a permis à la députée de se rendre compte qu'un groupe de personnes non élu et ne se connaissant pas pouvait faire des choix budgétaires, prendre des décisions politiques allant dans le sens de l'intérêt général. Les projets financés étaient des projets culturels, autre chose que les parkings promis par les autres députés clientélistes. Pourquoi alors déléguer le pouvoir, si les citoyens sont visiblement capables de bien l'utiliser ?
Au final, elle se rend de plus en plus compte de sa position bancale : députée un peu trop à part pour les uns (les députés), et députée donc faisant partie des élites pour les autres (la société civile militante). Les désillusions politiques seront de plus en plus fortes entre la co-gouvernance avec un PS qui déroule son programme néo-libéral en prenant en otage les élus écologistes, ou encore lorsqu'elle quitte EELV, déçue, pour rejoindre un nouveau parti (nouvelle donne) qui se fera lui aussi dominer par un leader au final.
La découverte de l'anarchisme
Les années qui suivent cette désillusion de la démocratie représentative la mèneront vers la découverte de l'anarchisme.
Elle cite notamment son éveil à ce courant politique par deux œuvres : Une histoire populaire de l'Amérique d'Howard Zinn, retraçant une histoire de l'Amérique différente de la version officielle et le documentaire Ni Dieu ni Maitre, qui l'introduit à l'anarchisme. Elle évoque également sa rencontre avec deux personnages forts au cours de ses lectures : Voltairine de Clayre (autrice Américaine relevant aussi bien de l'anarchisme que du féminisme) et Murray Bookchin (auteur qui avancera la conception d'écologie sociale).
Elle retrace assez rapidement l'histoire de l'anarchisme, et s'attarde en particulier sur l'histoire du mot anarchisme : pourquoi celui-ci est toujours attribué à la violence et comment celui-ci est devenu tabou. Si elle a pu passer à côté aussi longtemps de l'anarchisme c'est parce que l'histoire a toujours été réécrite pour faire oublier les succès de l'anarchisme. L'une des clés pour écraser l'anarchisme était notamment de dissoudre les réunions, les revues etc... L'anarchisme croyait en l'éducation populaire. Aujourd'hui toujours, on enseigne l'histoire du capitalisme et du communisme mais jamais de l'anarchisme ! L'anarchie est une grande absente de l'histoire enseignée. Le mot anarchiste est tellement tabou qu'à la suite de son mandat de député et à cause de ses nouveaux idéaux, il a été compliqué de retrouver du travail pour Isabelle Attard, allant jusqu'à imaginer changer de nom. Pourtant elle ne veut pas utiliser un autre mot qu'anarchiste (libertaire par exemple), et affirmer haut et fort ses convictions.
L'anarchisme, ça marche !
Pour la troisième et dernière partie de l'ouvrage, Isabelle Attard prend le temps d'évoquer quelques exemples où des idées anarchistes ont pu être mis en application.
-En Ukraine, initiée par un anarchiste nommé Makhno, pendant 3 ans, une région autonome a réussi à évincer les grands propriétaires, et à s'organiser de façon autonome et viable sans un État central. 2 millions et demi d'Ukrainiens y prirent part. Les anarchistes Ukrainiens ont été matés par l'armée rouge lancée par Trotski. En Mandchourie, un exemple de ce type a eu lieu également maté par Staline et les Japonais.
-La révolution Espagnole de 1936. Barcelone était devenue la capitale des anarchistes à la fin du XIXème. Le front populaire gagna les élections en 1936. En Aragon, a eu lieu une forme aboutie de l'anarchisme après coup : fondé sur des « collectivités », mise en commun de terres, disparition de la monnaie/ou monnaie locale, projet de revenu de base, création d'écoles... Le succès de ces idéaux anarchistes est tel qu'une fois que Franco reprendra réellement le pouvoir 2 ans plus tard, les propriétaires reviendront et trouveront leur industrie florissante car grandement améliorée par les ouvriers.
-Le Rojava, aujourd'hui. 4 millions de personnes entre Syrie, Irak et Turquie tente de construire un pays basé sur des idéaux de communauté, d'écologie et de féminisme, tout en luttant sur plusieurs fronts. Le principe de subsidiarité domine : si l'échelon du bas peut résoudre le problème, l'échelon du haut n'intervient pas. On y retrouve des principes de représentation égalité homme/femme, d'écologie, etc...
-Le Chiapas des indiens Zapatistes. Depuis 25 ans environ et comme au Rojava en partie on y trouve le principe de subsidiarité, des collectivités auto-gérées, des élus révocables, non rémunérés et pas vraiment de gouvernement. Là aussi féminisme, écologie et démocratie directe sont mêlés.
-La ZAD de Notre-Dame Des Landes. Au-delà de la lutte contre l'aéroport, la ZAD a été un lieu d'expérimentation sociale. Preuve selon Isabelle Attard que ces envies de société alternative déplaisent au gouvernement, la violence avec laquelle les zadistes ont été dégagés : 200 personnes délogées par 2500 policiers à coups de grenades.
-En Grèce également après la crise de 2008, se sont développés des endroit de démocratie directe, d'entreprise auto-gérées etc... Tous ces exemples sont proches d'idées anarchistes de l'égalité, l'entraide et liberté.
En conclusion, elle termine son essai en rappelant l'inaction des institutions pour le bien commun, et en explorant la notion de municipalisme libertaire introduite par Murray Bookchin et de l'action directe (dans tous ses aspects) pour faire face à l'effondrement écologique actuel. Elle utilise notamment ces mots que j'aime beaucoup qui désignent selon moi une bonne stratégie à adopter pour lutter aujourd'hui : "si tu veux changer le monde, regarde qui sont les vrais responsables des catastrophes écologiques et sociales, lis, réfléchis, lis encore et regroupe toi avec ceux qui pensent la même chose de façon à être plus fort et plus écouté encore. Et si tu peux, profites-en pour mettre en cohérence tes actes et tes idées, avec les moyens dont tu disposes."
Avis personnel
J'ai beaucoup de sympathie pour Isabelle Attard. On ne peut être qu'admiratif de gens entiers comme elle, remettant en cause les inégalités et les absurdités de la démocratie représentative, et qui continuent de se construire politiquement même après avoir passé un certain âge. Son témoignage est précieux, enrichissant et rafraichissant d'honnêteté. Même si on peut trouver légèrement bancal de se lancer dans une histoire de l'anarchisme et de ses exemples actuels en si peu de pages, le livre reste une introduction sympathique à pas mal d'idées (elle donne beaucoup d'exemples de lectures ou de documentaires qui l'ont marqué). On est au final un peu plus intéressé par son parcours personnel qu'elle aborde finalement assez peu sur la totalité du livre, que par l'histoire de l'anarchisme succincte développée qu'on peut retrouver de manière plus élaborée dans un autre ouvrage. Mais le bouquin, facile à lire, a le mérite d'être un joli témoignage et une bonne initiation aux idées et à l'histoire anarchistes.
Liens
Retour sur le parcours d'Isabelle Attard dans le podcast floraison(s) : https://floraisons.blog/podcast1-5/