Comment faire pour ralentir notre machine mondiale lancée à pleine vitesse vers un mur ? La question est tellement énorme qu'on ne sait par quel bout en entamer la réponse. On comprend qu'il faut changer totalement de paradigme (manière globale de penser et de faire fonctionner nos sociétés) à l'échelle du monde, et dans les meilleurs délais (pas dans 10 ans, maintenant).
Mais comment ? par quel levier impulser ce virage à 90° pour 7 milliards d'individus ?
Le nœud du problème est peut-être justement dans notre juste connaissance (pour nous citoyens, mais surtout pour les décideurs et gens de pouvoir) de la situation de la planète (bouleversement climatique, degré de dépendance de nos sociétés aux énergies fossiles qui vont elles-même bientôt disparaître, dégradation exponentielle des éco-systèmes, avenir de l'agriculture mis en péril par tous ces paramètres, etc...). Car si on a tous à peu près conscience de la situation (on sait que c'est pas la grande forme, hin), ce livre donne une lucidité aiguisée de la gravité de la situation. Et c'est dans cette nuance que tout change dans notre esprit. Autrement dit, vous êtes au quarantième étage d'un immeuble, vous savez très bien que vous êtes monté haut... et bien l'auteur de ces pages se charge de vous suspendre dans le vide par les pieds pour que vous vous figuriez parfaitement la distance qui vous sépare du sol, études, données... etc à l'appui.
Cette lecture, ou même ce constat pourra en énerver certains, réagissant par une sorte de dénis, arguant que c'est du catastrophisme et que "ça-va-aller, parce que l'homme s'en est toujours sorti !" ou sortant le très fameux : "On va quand même pas s'éclairer à la bougie hin!". (Petite parenthèse: Pablo Servigne n'est pas catastrophiste, il est comme vous et moi: il a envie que ça finisse bien, et cette lecture ne donne à aucun moment l'impression que son auteur écrit des présages angoissants un sourire pervers aux lèvres; c'est un factuel (ingénieur agronome) qui synthétise pas mal d'études et de données et nous les met juste sous le nez).
D'autres lecteurs seront plus atteints, ébranlés par cet ouvrage.
Cette lecture, par le sentiment d'urgence qu'elle convoque, a tranché les derniers morceaux d’insouciance qu'il me restait (le livre de Philippe Squarzoni (Saison brune) avait déjà entamé ce travail de sape).Mais il faut bien ça pour qu'on lève un peu le nez et qu'on aperçoive que le mur en béton armé vers lequel on roule à toute allure est plus proche et plus grand qu'on ne le pensait.