Pablo Servigne, ça roule pour lui. Son Comment tout peut s’effondrer fait le kéké chez les best-sellers (60 000 exemplaires vendus à cette heure) et en un mois, peut-être deux ou trois, on a décortiqué son cas dans L’Obs, Le Point, Le Monde, la BBC, Le Soir, france 5, C8, The Guardian, les Inrocks, El Pais, Passion crevette magazine ; j’oublie qui ?
Nous sommes entrés dans le monde de l'exponentiel. C’est le beau Pablo qui le dit.
Autrefois joueur d’échecs, j’aimais bien le problème dit des « grains de blé ». On place un grain de blé sur la première case d'un échiquier, puis deux sur la deuxième case, puis quatre sur la troisième, huit sur la quatrième et ainsi de suite jusqu'à la soixante-quatrième case, en doublant à chaque fois le nombre de grains. Finalement on arrive à dix-huit quintillions de grains, soit de quoi recouvrir la France d'une couverture d'un mètre de grains de blé. La vitesse exponentielle va plus vite qu'un entendement humain. On peut seulement la pressentir. Pour la mesurer, il faut se replacer dans le temps long, voire très long et cela suppose une forme d'intelligence que Tocqueville, en 1840, estimait déjà très mal barrée. Ceci dit, en termes d’écologie, quelque chose me dit - quoi ? Une endive au jambon ? - que la démission d'Hulot correspond à un doublement des grains de blé : depuis ce jour, l'écologie compte double. Et bientôt, très bientôt probablement, ce double sera multiplié par deux, etc. Bref, aujourd'hui, Pablo Servigne est propulsé au rang de superstar... et demain ?
Pas de suspense : M. Servigne me fait suer. Pourquoi ? Parce que je n’aime que les poètes, les serial killers et les souris vertes qui couraient dans l’herbe. Mais il est l'inventeur du mot « collapsologie », c’est pas rien d’inventer un mot. Qui a fait ça à part Rimbaud, Marivaux et deux ou quinze autres dindons du même bois ? Et ça veut dire quoi "collapsologie" ? Oh, la barbe, il y a des hôtels pour ça, des Grand Google je veux dire. Moi, je constate seulement que Pablo Servigne est ingénieur agronome. Comme Houellebecq. Donc quoi ? Donc les ingénieurs agronomes sont à la mode.
Dans son dernier roman, Houellebecq parle d'agriculture : il dit, par exemple, que tous les paysans français sont morts. Pas très original sur le fond : Henri Mendras le disait déjà en 1967 dans La Fin des paysans. Mais le fond, je m'en tape et avec Décathlon, je crie : « A fond la forme ! ». Or justement, formellement parlant, ça faisait bien longtemps – selon mon avis de gnome - que Michel Houellebecq n’avait pas écrit un grâcieux roman. Dans Sérotonine, sa phrase est légère, simple, il ne fait pas le beau, il avance tranquillement, d’un pas de guide de moyenne montagne : il vieillit bien. Et ses provocations sont désormais des manies de papy ronchon - « Moi, je roule dans mon 4x4, na ! » - c'est mignon.
Mais Pablo Servigne, lui, c'est l'ingénieur agronome de demain, d'aujourd'hui même. Il parle à l'oreille des zadistes et des végans, il s'adresse à tous ces jeunes qui vivent en coloc à Nantes et qui font du covoiturage dans la Drôme - il signe même son livre en coloc - et il fait peur à ceux qui ont le bilan carbone d'un Airbus A380. Et si c’est une quiche sur la forme - une quiche sans fromage – il se rattrape sur le fond. C'est un scientifique de formation et pour lui, un chiffre, c'est un chiffre ; un fait, c’est un fait : c'est agréable, ça change… et ainsi, à force de remuer le fond, il a peut-être écrit le texte le plus important de ce début de 21ème siècle - on verra bien - et oui, au fait, il annonce la fin du monde.