Née Norma Jeane Mortenson, Marilyn Monroe, comprise ici comme un alter ego public, ne constitue que l’une des deux faces d’une pièce qui ne cesse de tournoyer, présentant successivement l’ivresse de la gloire et son revers, une mélancolie qui se double de solitude. Car de cette Confession inachevée livrée sans pudeur au scénariste et dramaturge Ben Hecht ressort cette impression tenace : toutes les expériences hollywoodiennes et amoureuses vécues par Marilyn Monroe ont été conditionnées, en totalité ou pour partie, par des traumatismes d’enfance inconsolables – et sur lesquels la comédienne s’épanche sans toutefois, manifestement, prendre la pleine mesure de leur caractère déterministe. Comment mieux expliquer ce besoin criant de se montrer et de figurer au centre des attentions, si ce n’est à la lumière d’une enfance trimballée de foyer en foyer, où un facteur faisait office de père contre quelques dollars, où des « oncles » et des « tantes » remplissaient les vides laissés par une mère absente, puis passablement diminuée ? Marilyn Monroe déclare d’ailleurs avoir ressenti, durant des cérémonies religieuses à l’Église, l’envie irrépressible de se mettre à nu, au sens littéral du terme, pour hurler son existence à ceux qui l’entouraient. Elle raconte aussi comment la nudité pouvait être assimilée dans son chef à une manière de se débarrasser de tous les signes distinctifs d’une condition sociale modeste, et de se mettre à la hauteur de n’importe quelle autre femme. Elle revient enfin sur la fascination qu’elle s’est mise à exercer sur les autres, à 13 ans à peine, quand elle a porté pour la première fois le pull d’une amie, un peu trop serré pour sa poitrine déjà généreuse.
À bien des égards, cette Confession inachevée a quelque chose de déchirant. Il faut se figurer cette jeune Norma, encore enfant, obnubilée par le portrait d’un homme présenté comme étant son père. Cette gamine qui tourne le regard vers les néons de la RKO en espérant, secrètement, y trouver de quoi assouvir ses besoins d’accomplissement et ses envies de popularité. Cette même femme, des années plus tard, assistera médusée à des soirées au cours desquelles des hommes riches parient et font passer de poche en poche des liasses de billets, alors qu’elle-même a connu dans sa jeunesse l’indigence et les files d’attente indignes pour s’approprier quelques sacs de pain rassis. Il est difficile, en tout état de cause, de ne pas évoquer la tragédie quand on se penche sur la vie de cette étoile hollywoodienne partie trop tôt – 36 ans, des suites d’une intoxication aux médicaments. Une « blonde pneumatique » jalousée par les autres femmes, abîmée par les hommes, à la fois adulée et malmenée par les industries du cinéma et de la presse, capables du meilleur – l’agent Johnny Hyde veillait sur elle avec bienveillance et amour, John Huston l’a fascinée – comme du pire – les commentaires désobligeants de Joan Crawford à propos de son comportement à la cérémonie des Oscars, les tentatives d’agression sexuelle, les avanies d’un général de l’armée…
Une grande incompréhension semble régner autour du personnage et de la personne de Marilyn Monroe. Ce n’est évidemment pas un hasard si d’autres sex-symbols, telles que Brigitte Bardot, ont connu des expériences similaires. Et c’est d’autant moins surprenant si l’on considère que la comédienne de Sept ans de réflexion était capable de se réjouir de la liturgie qui accompagnait ses entrées en scène tardives lors des soirées mondaines tout en exprimant sans réserve l’ennui et l’inconfort qu’elle ne manquait pas de ressentir dans ces lieux feutrés où tout lui paraissait réglé comme du papier à musique. En amour aussi, ses attentes rencontraient rarement celles des hommes. Elle épouse James Dougherty avant tout pour éviter un retour à l’orphelinat. Elle estime profondément Johnny Hyde, dont elle ne doute aucunement de la sincérité, mais se montre incapable de lui témoigner en retour le moindre amour authentique. Elle s’amuse de l’effet de sidération qu’elle provoque auprès des hommes sans même songer un instant à une quelconque dimension sexuelle, pourtant bien tangible en arrière-plan. Marilyn Monroe représentait en quelque sorte l’opportunité à travers laquelle Norma Jeane Mortenson pouvait enfin s’accomplir : celle qui avait faim était désormais invitée dans les meilleurs restaurants par des hommes plus ou moins entreprenants, celle qui souhaitait être remarquée faisait maintenant les gros titres des journaux et suscitait tour à tour désir, jalousie et indignation, celle qui devait prendre son bain dans une eau déjà souillée par une demi-douzaine de personnes jouissait dorénavant de cachets inespérés. Et bien consciente de ses vulnérabilités (notamment dans la comédie), elle s’échinait à s’améliorer au quotidien, en prenant des cours, en compulsant les ouvrages spécialisés, en répétant inlassablement.
Illustré de plusieurs dizaines de photographies, Confession inachevée comporte une postface permettant de recontextualiser les clichés intégrés à son corpus. L’ouvrage est un testament puissant, souvent douloureux, sur une femme tout en fêlures dont le milieu d’adoption, sous ses dehors de lustre et d’ivresse, n’a fait qu’accentuer la vulnérabilité. Quand cela ne transparaît pas avec évidence, on le devine sans mal entre les lignes. Des lignes passionnantes, qui permettent au lecteur d’adopter le point de vue d’une icône de Hollywood et de son temps, sur laquelle tout et son contraire ont été dits. À cette aune, on ne peut que saluer la parution en français d’un ouvrage introspectif jetant un filet de lumière dans la pénombre des apparences.
Sur Le Mag du Ciné