Confiteor par BibliOrnitho
Confiteor est un mot latin signifiant « Je reconnais, j’avoue », me dit Wikipedia, le titre d’une prière liturgique par laquelle le chrétien se reconnait pêcheur vis-à-vis de Dieu et des hommes. Une confession, une demande de pardon.
Ce livre est le testament du personnage principal : Adria Ardèvol. Catalan, barcelonais, linguiste érudit, violoniste de talent, philosophe de l’esthétique, professeur d’université, il écrit cette longue lettre de 780 pages à l’amour de sa vie, Sara Voltes-Eptein, juive, décédée après deux AVC.
Une confession, en effet, car par ses écrits, Adria se met à nu. Il avoue avoir menti à de nombreuses reprises. Par lâcheté. Pour la protéger de la noirceur du monde. Un récit qui a besoin de quelques dizaines de pages pour se mettre en place, une grosse centaine pour prendre ses aises. Les débuts paraissent confus, difficile à suivre : l’auteur part en une multitude de directions, change de lieu, d’époque, de personnages et de narrateur au sein d’un même pavé de texte. Le « je » de la fin d’un paragraphe n’est pas forcément celui du début.
Mais Jaume Cabré ne saute jamais du coq à l’âne. Ses changements de vents se font toujours naturellement. Tellement dans la continuité de ce qui précédait que le lecteur ne réalise pas toujours immédiatement que le décor s’est modifié. Pourtant l’auteur veille minutieusement à ne jamais perdre son lecteur qu’il emmène exactement là où le souhaite et par des chemins prévus dès le début. Du XIVe siècle asphyxié par la très Sainte Inquisition au début du XXIe en passant par la lutherie lombarde du XVIIIe et les camps de la mort nazis, l’auteur met en scène près de 200 personnages évoluant de concert en Espagne, France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Pologne, Estonie ou Croatie. Un roman que je ne tenterais même pas de résumer tant le roman est complexe, multiple et dont les fils conducteurs – en plus de son narrateur catalan – sont un violon d’exception, une médaille et un linge de table plus très propre.
Adria Ardèvol est né dans la mauvaise famille. Une famille qui ne l’aime pas ou qui ne le lui montre pas. Son père, collectionneur érudit, se passionne pour les antiquités de valeur qu’il glane dans toute l’Europe pour son plaisir propre ou pour son magasin au contenu hétéroclite. Il oblige son fils à étudier les langues. A douze ans, il en maitrise déjà quatre ou cinq (six, peut-être : la gamin a tant de facilité et son savoir s’accroit si vite que le lecteur a du mal à suivre). Sa mère, elle, aimerait le voir en violoniste virtuose. Et là encore, le gamin progresse vite et impressionne ses professeurs.
On croise également la route de Bernat, l’ami de toujours. De Sara, qui incarne l’amour. Aigle-noir et le Shérif Carson, deux figurines qui accompagnent et conseillent le narrateur tout au long de sa vie. Isaiah Berlin, un philosophe et un historien des idées vivant à Oxford. Le docteur Voigt qui réalisait des expériences médicales sur des enfants dans le camp d’Auschwitz-Birkenau. Lorenzo Storioni, un luthier de talent de l’Italie du XVIIIe. Nicolau Eimeric, Inquisiteur général dans l’Espagne du XIVe siècle. Johannes Kamenek, professeur à l’Université de Tübingen en Allemagne…
Une multitude de petits sentiers qui, au fil des pages, convergent tous dans une même direction. Des indices semés ici et là et qui serviront à l’auteur dans les chapitres à venir. Des liens tissés peu à peu entre les personnages, entre les différentes bribes du récit pour finalement former un ensemble cohérent et parfaitement maitrisé du début à la fin.
Une écriture fort belle, généreuse, puissante. L’histoire finit par totalement happer le lecteur qui n’a plus d’autre choix que de se laisser porter par les mots. Le récit nous fait voyager, dans le temps et dans l’espace en une suite exubérante et flamboyante de tableaux successifs. Une livre qui doit être goûté, savouré. Une lecture qui doit être attentive pour ne pas manquer les changements de la narration, les ramifications du ce récit tentaculaire sur fond de questionnements : l’opposition du Bien et du Mal, l’existence de Dieu remise en cause par l’existence même du Mal qu’Il ne devrait pas tolérer.
En bref, car on pourrait en parler des heures tant le livre est riche, un bouquin magnifique qu’il faut absolument lire et prendre le temps d’apprécier. Quitte à un peu s’accrocher au début et patienter 150 ou 200 pages pour vraiment s’installer confortablement dans une prose vertigineuse qui ne lâchera plus son lecteur avant le point final.
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