Le 8 mars 2022, le 8 comme un signe infini où retentit le glas des femmes, celles qui n’ont pas pu faire leur trou dans le monde, si bien qu’on leur lance encore et toujours, depuis 1975, une journée à elles, une journée internationale du droit des femmes. Moment propice pour qu’elles libèrent leurs voix, leurs corps des carcans moqueurs du patriarcat.
Depuis combien de temps cette guerre de sexes existe-t-elle? Trop longtemps. De l’Antiquité où elles n’étaient que de petites filles sous la tutelle des hommes, au siècle des Lumières même dans cet humanisme qui les a balayés, jusqu’à maintenant lorsqu’on s’affole depuis notre vigie française, du recul dramatique des droits des Afghanes, obligées à l’éducation dans la clandestinité quand elles ne sont pas juste réduites à l’esclavage domestique.
Dans ce sombre tableau où le corps et la conscience féminine sont muselés, quelques êtres plus lumineux que leurs confrères s’insurgent pour elles et leur reconnaissent un droit citoyen les souhaitent à l’égal de l’homme.
Condorcet fait partie de ces étoiles filantes, qui brillèrent par une pensée d’avant-garde et qui par cela même fut effacé durant 150ans. Homme du siècle des Lumières (1743-1794) à la fois mathématicien, philosophe et politicien, il s’est fait remarquer comme défenseur du droit des femmes, mais plus généralement des opprimés, allant jusqu’à participer à « la société des amis des noirs », laquelle était contre l’esclavage.
Mais que peut un seul homme contre toute une société ? Peu de choses et, sous le refus de la nouvelle constitution, pointé du doigt comme un traître, voici qu’il fut traqué, arrêté et jeté en prison, mourant dans des circonstances non élucidé.
Sa mort et sa voix font de lui un mythe que l’on redécouvre et sur lequel se sont déposés les jalons du féminisme, de son intuition pour la nécessité de l’éducation des femmes. Il excelle notamment à ce sujet dans la rédaction d’une lettre à sa fille, message testamentaire pour une petite âgée de 5 ans et qu’il saura ne pas voir grandir, puisque Robespierre le veut mort.
À l’occasion de la sortie du texte sous format poche, Nathalie Wollf et Laura El Makki proposent une préface à la fois historique et sensible de Condorcet. Elles dressent le portrait paradoxal d’un homme discret, à la voix qui peut trembler, mais qui est aussi appelé le « Condor » par ses pairs.
Humaniste trop-humaniste, il voyait dans l’Amérique une terre d’égalité et s’insurgeait dans ses échanges avec Jefferson du peu de considération que l’on portait au sort des femmes alors qu’en Italie l’une d’elles : Laura Bassi (1811-1778) mathématicienne et physicienne italienne d’un rôle de professeure à l’université, pour ne citer qu’elle.
Décrit aussi comme l’ami des femmes, Nathalie Wollf et Laura El Makki nous rappellent sa sensibilité et la terreur que fut sans doute la fin de sa vie lors de la rédaction de ses dernières recommandations pour une enfant, dont il sait qu’elle grandira dans une société d’hommes (et sous Napoléon, mais ça, il ne pouvait pas le prévoir !). Pour elle, il osera imaginer une vie digne où la voie du mariage n’est pas la seule, où l’indépendance du coeur et de l’esprit sera une nécessité.
Enfants du XXI siècle, nous mesurons les 150 ans qui nous séparent de ces conseils. Des avancées ont eu lieu : droit de vote des femmes (1944), dépénalisation de l’IVG (1975), une femme Première ministre (1991) ou plus récemment la reconnaissance des couples lesbiens et femmes seules pour la PMA (2021).
Pourtant, nous continuons à gratter nos droits. Nous sommes encore trop proches de ce que demandait Condorcet. L’éducation des femmes, que nous pensions absolue reste fragile lorsque nos yeux se portent sur les Afghanes, sur les Indes aussi.
Les femmes restent trop souvent écrasées ou moquées dans leurs tentatives de se libérer.
Il y a tant à dire et à faire encore. Tant de Condorcet nécessaires.
Nathalie Wollf dira à ce propre une chose qui m’apparaît d’une justesse terrible : les lois se créent de manière impérieuse. Il faut encore faire l’expérience des drames pour qu’une loi soit votée. L’affaire Tonglet-Castellano sur la question du viol en est la plus dramatique illustration.
Et si, Laura El Makki s’attriste que nous soyons toujours « bloquées entre la vie et le droit » nous oserons croire en un avenir optimiste, dans lequel les conseils d’un père pour sa fille se transformeront en simples conseils à son enfant, effaçant les frontières entre fille et garçon.
En attendant il demeure important de porter haut ces textes, de les lire et relire, des les offrir à ceux qui nous entourent, pour que chacun prenne la mesure du chantier de nos espoirs, pour aussi y trouver la force d’être femme, d’être humain, simplement.
-> Critique publiée ici, aussi.