S'il y a une leçon à retenir de l'épreuve interminable que constitue la lecture des 370 pages du "Consumés" de David Cronenberg, c'est bien que le fait d'être un artiste important dans une forme d'Art spécifique ne saurait constituer un laisser passer pour prétendre "aller voir" ailleurs en toute impunité critique : finalement Houellebecq est quand même un piètre photographe, et Lynch un musicien peu excitant... Bon je sais qu'on peut trouver des contre-exemples, mais quand même... Tout fanatique des films déviants de la première période de la filmographie du Canadien pervers se devait apparemment - comme je l'ai fait - de se précipiter sur ce livre trop beau pour être vrai (en effet), promettant l'adaptation en roman des déviations malades qui nous enchantèrent autrefois, de "Frissons" au "Festin Nu" en passant bien sûr par "Crash"... sans que la critique littéraire (au moins française) ait fait le moindre du monde son travail, qui aurait été de nous avertir qu'il s'agissait là d'un... ratage particulièrement cruel. D'un livre terriblement mal écrit, mais également prétentieux, vide et fastidieux. D'une sorte de plagiat, par un amateur totalement dénué de talent et sans imagination, des théories et des œuvres - souvent brillantes, on le sait tous - d'un J.G. Ballard (la connexion "Crash", évidente), "enrichie" par des détours sur les terres d'un Bret Easton Ellis : bref, exactement le sujet qu'on "attendait" d'un film de Cronenberg, massacré par l'incompétence narrative et stylistique de quelqu'un qui n'aurait certainement pas dû se risquer au delà de l'écriture d'un scénario. S'il arrive à passer outre la cruelle médiocrité "littéraire" de "Consumés", le lecteur mortifié n'aura ainsi que des absurdités banales, presque parodiques, à se mettre sous la dent : des héros haïssables dans leur addiction infantile pour les média "modernes", des philosophes français partouzeurs, des chirurgiens est-européens vénaux, des maladies dégénératrices, des obsessions maladives pour les insectes, du cannibalisme amoureux, le tout dans un monde où l'imprimante 3D permet de réaliser la virtualité de nos instincts criminels. En écrivant cette liste à la Prévert, je me rends compte pourtant que je joue le rôle que Cronenberg m'a assigné, faire saliver ses fans, avides de retrouver leur maître en déviances : oui, il y a tout cela dans "Consumés", et bien plus encore, mais ce "livre" ressemble bien plus à un catalogue imbécile établi pour choquer le bourgeois qu'à une quelconque oeuvre littéraire. J'avoue quand même que dans la seconde partie du livre, je suis un peu sorti de ma torpeur pour sourire quand Cronenberg attaque une assez savoureuse histoire sur le cinéma nord-coréen et la défection d'intellectuels et de scientifiques français passés au service de l'ineffable Kim Jong-Il, ce qui aurait constitué à mon sens un sujet pertinent pour un autre livre que ce consternant "Consumés" : ces quelques moments de plaisir ont été vite oubliés en constatant la lâcheté avec laquelle Cronenberg largue finalement son lecteur à la dernière page, incapable d'aller jusqu'au bout de la logique de son histoire. En un mot, pitoyable. [Critique écrite en 2016]