Les Contes de la folie ordinaire ne sont pas gentils, ils ne sont pas propres ni même sages, ils ne disent pas merci, ils n’aident les vieilles dames à traverser que dans l’espoir de quelques billets, ils ne lèvent pas la lunette des toilettes, ils écrasent leur mégot sur le canapé, soufflent en se bouchant une narine pour se moucher, ils sont mal rasés, n’hésitent pas à coller une rouste à une femme, vomissent souvent par terre et baisent sans capote, ils fraudent le RSA, ils ronflent en dormant, ont mauvaise haleine et ne s’excusent jamais.
La poésie de Bukowski est crasseuse, elle à l’odeur rance et aigre des lendemains de cuite, elle a des tâches dont elle ignore la provenance et couche avec le premier venu sans se poser trop de questions. C’est le genre de texte qui vous bouscule dans la rue et ne se retourne même pas, le genre qui ne dit pas pardon et ne demande rien à personne, qui sort sa bite en pleine rue et que tout le monde observe du coin de l’oeil d’un air embarrassé. L’écriture de Bukowski on la trouve vulgaire, gratuite, sale, facile, basse et puante, on la méprise parce qu’elle nous salit et nous emmerde, parce qu’elle est corrosive, irrévérencieuse et offensante. Les Contes de la folie ordinaire c’est un recueil de MST littéraires, on les choppe et c’est impossible de s’en débarrasser, il ne reste qu’à apprendre à vivre avec, sans jamais pouvoir oublier. Ils sont le quotidien amer et rustre que l’on voudrait tant ignorer. Ils sont un crachat à la face de la morale, ils urinent sur la bien-pensance et éjaculent sur les règles.
« Find what you love and let it kill you. »
Bukowski c’est une écriture de l’excès, un style qui semble nous vomir son trop plein de langage, empruntant à tous les registres, tous les tons, tous les styles. C’est un relent incontrôlable de mots, d’images et de tournures, de quoi enivrer le plus endurci des lecteurs. Ce sont des hoquets de majuscules qui arrivent COMME CA SANS PRÉVENIR, SANS RAISON et qui disparaissent. La réaction saine, ce serait de trouver ça sur-fait, adolescent et dénué de subtilité, la logique voudrait que l’on classe cela parmi les bouquins de gare, ceux qui moisissent dans la bibliothèque du grand oncle lubrique et que l’on n’ouvrirait que pour mieux les fermer, mais quoique l’on fasse il est trop tard et son venin obscène s’écoule déjà en nous.
L’œuvre de Bukowski donne à la bassesse toute la place pour s’épanouir en en faisant de la sorte quelque chose de beau, car derrière cette violence des mots, derrière cette brutalité des corps, il y a une forme de tendresse chez Bukowski, le genre de tendresse désabusée et pleine de courbatures, le genre que l’on n’attend pas, qui nous saute à la gueule avec son obstination d’asthmatique. Et c’est sans doute ce qu’il y a de merveilleux chez Bukowski, c’est cette douceur basse, cet amour fatigué et pourtant profondément vivant qui surgit là où tout nous semblait tari.
On a le devoir de détester Bukowski, c’est pour ça qu’il faut l’aimer.
« Don’t try. »