C’est l’histoire d’une histoire. Une histoire que l’on commence, vissé dans un fauteuil, allongé dans son lit ou sur une chaise dehors.
C’est l’histoire d’une histoire que l’on commence et qui nous commence. On entre timidement dans les premières pages, comme à tâtons, on trébuche encore légèrement sur le style, on observe, on s’y plait.
C’est l’histoire d’une histoire que l’on commence, qui nous commence, et qui s’arrête brutalement. Le premier chapitre passé, plus rien. Enfin si, mais pas la même histoire. On hésite, on s’interroge, on cherche… et finalement on continue.
C’est l’histoire d’une histoire que l’on commence, qui nous commence, et qui s’arrête brutalement, mais pas tout à fait. On persévère, on poursuit la lecture, on y reprend goût, peu à peu, on s’y fait…
C’est l’histoire d’une histoire que l’on commence, qui nous commence, et qui s’arrête brutalement, mais pas tout à fait… C’est l’histoire d’une histoire qui recommence. Un nouvel incipit, tout aussi plaisant que le premier. Cette fois c’est la bonne !
C’est l’histoire d’une histoire que l’on commence, qui nous commence, et qui s’arrête brutalement, mais pas tout à fait… C’est l’histoire d’une histoire qui recommence, et qui s’arrête brutalement...
Si par une nuit d’hiver un voyageur, c’est à la fois une histoire et des dizaines. C’est notre histoire. Celle d’un lecteur entamant un roman (« Si par une nuit d’hiver un voyageur ») mais qui voit ce dernier s’arrêter brutalement après le premier chapitre. Le lecteur, décontenancé, part ainsi en quête de la suite du texte, mais c’est bien d’autres œuvres qu’il va trouver sur sa route. Si bien que le roman se compose sur l’entrelacement de deux trames : d’une part la succession des divers incipit, de l’autre la quête désespéré du livre perdu.
La grande beauté du roman d’Italo Calvino, outre sa composition, outre l’élégance de son style, outre l’humour que l’on sent à chaque page, c’est de nous présenter un monde régi par les livres, où chaque personnage est avant tout lecteur et où chaque champ (amoureux, politique, militaire…) n’est perçu qu’à travers la lecture. Ce n’est pas un « livre-monde », c’est un « monde-livre ». Aussi, les jeux d’échos et de mise en abyme parsèment l’œuvre, en faisant un véritable labyrinthe de pages.
Dès le début du récit, on a l’impression que la fiction nous révèle ses mécanismes, qu’elle nous avoue son mensonge. L’entreprise de Calvino est assez évidente à ce niveau là, celui-ci évoque le « piège » que tendrait l’auteur/narrateur au lecteur. Le paysage de l’incipit de « Si par une nuit d’hiver un voyageur» est empli de brouillard comme pour dévoiler la fumée que l’on nous jette aux yeux. Mais cette façon d’assumer la fiction comme piège, n’est-ce pas là le piège lui-même ? Dévoiler pour mieux distraire, montrer pour mieux cacher ; le narrateur chez Italo Calvino est plus malicieux qu’il n’est honnête. Le personnage de lectrice qu’incarne Ludmilla a d’ailleurs parfaitement saisi cette notion, parlant au chapitre 8 de romans qui « créent une illusion de transparence autour de nœuds… ». Le piège est tendu.
Au fil des pages, l’œuvre de Calvino devient elle-même ce « nœud » dont parlait Ludmilla, elle se fait entrelacs de récits, puzzle narratif, poupée-russe de fictions… Peu à peu tout paraît être double à nos yeux de lecteur ; chaque scène, chaque personnage, chaque discours ne semblant être en effet, que l’écho d’un autre. De la même manière que les personnages, nous devenons à notre tour, prisonniers de la fiction. Le lecteur est happé.
Au bout du compte, Si par une nuit d’hiver un voyageur se révèle l’un des plus beaux livres sur la lecture (« lecture d’une aventure, aventure d’une lecture » diront les universitaires amateurs de facilité). Le roman est une galerie de miroirs, qui finalement, ne nous renvoie que notre propre reflet, mais bien plus encore, c’est un labyrinthe narratif, au centre duquel nous ne trouvons qu’une chose : nous même.